Le verre connecté Auxivia

Auxivia par son inventeur

Jusqu’à son rachat par Telegrafik en 2022, Auxivia était une start-up française qui voulait développer des solutions d’assistance pour les Ehpad. Leur unique produit était le verre connecté. Il aide le personnel soignant à piloter les prises hydriques des personnes âgées dépendantes, en Ehpad, hôpital ou à domicile. Cette interview du cofondateur d’Auxivia, Antoine Dupont est l’une des premières publiées dans Sweet Home.

À l’époque j’avais beaucoup apprécié l’enthousiasme d’Antoine Dupont ainsi que sa stratégie managériale consistant à recruter des salariés dès le lancement de l’entreprise plutôt que de s’entourer d’une armée de stagiaires ou de free-lance.

Une approche audacieuse mais qui porte ses fruits en termes de team building.

Interview de Antoine Dupont (Auxivia) par Alexandre Faure

Alexandre Faure : Bonjour Antoine, pouvez-vous commencer par nous présenter Auxivia, la genèse du projet et votre parcours jusqu’à aujourd’hui ?

Portrait d'Antoine Dupont, co-fondateur d'Auxivia
Antoine Dupont

Antoine Dupont : Je suis le co-fondateur de la société Auxivia que nous avons créé en 2015 avec mon associé Vincent Philippe.

Vincent et moi avons un background d’ingénierie. Nous nous sommes rencontrés en dernière année d’école de commerce. Vincent Philippe revenait des Etats-Unis où il avait fait de la recherche en télé-médecine, en laboratoire.

Nous partagions l’envie de créer une entreprise avec trois idées fortes.

  • Nous voulions développer un produit technique,
  • Nous nous intéressions à la santé au sens large (pas forcément que médical)
  • ainsi qu’à la question de la prise en charge des personnes âgées, notamment en établissement. Moi j’avais ma grand-mère qui était en EHPAD à ce moment-là. Elle y est d’ailleurs toujours.

Partis de là, puisque nous n’avions pas une idée précise de notre objectif, nous avons consacré plusieurs mois à échanger avec des professionnels du secteur : gériatres, aides-soignants, ergothérapeutes, personnes âgées, afin de cibler une problématique sur laquelle démarrer.

C’est grâce à ces rencontres que nous avons identifié un sujet à adresser : l’hydratation de la personne âgée, notamment en établissement de type EHPAD. Nous avons créé Auxivia en juin 2015. S’en sont suivies différentes phases d’évolution : recrutement, financement, prototypage etc. Aujourd’hui Auxivia réunit une équipe de dix personnes dont huit salariés et deux stagiaires.

Six personnes travaillent sur le volet technique sous la houlette de Vincent et nous sommes quatre, sous ma responsabilité, pour l’aspect commercial du projet.

Alexandre Faure : Pourquoi le sujet du suivi d’hydratation est-il si important ?

Antoine Dupont : Une personne âgée n’a plus de sensation de soif.

Sans stimulation extérieure, elle ne va pas être amenée à s’hydrater elle-même et donc elle va très peu s’hydrater. En outre, certaines de ces personnes peuvent avoir des troubles cognitifs qui vont exacerber la problématique. Enfin, ces personnes sont poly-médicamentées. Elles peuvent donc avoir besoin d’une hydratation plus importante. Si le suivi d’hydratation n’est pas bien fait, on risque de se retrouver avec des populations en sous-hydratation et même en déshydratation.

Une personne sous-hydratée et sujet à des troubles urinaires, elle va être fatiguée et désorientée. Une déshydratation quant à elle nécessite parfois une hospitalisation.

Le suivi est donc stratégique.

Les EHPAD sont un lieu de vie avec beaucoup de résidents et peu de soignants. Il n’est pas possible d’avoir une aide-soignante derrière chaque personne âgée pour s’assurer qu’elle s’est correctement hydratée tout au long de la journée.

Un enregistrement des prises hydriques doit être réalisé.

Souvent, il est fait avec des outils de suivi papier : une aide-soignante va passer au réfectoire ou en chambre et quantifier sur une feuille le nombre de verres pris par une personne âgée. C’est un système qui manque de fiabilité : on ne sait pas si un verre vidé a été bu ou pas, on ne connaît pas précisément la quantité de liquide. En outre, comme il y a beaucoup de turnover dans les établissements, c’est dur d’avoir ce système de suivi pour un grand nombre de personnes et de manière pérenne.

C’est d’autant plus difficile pendant les périodes de Plan Bleu (il s’agit d’un plan de prévention en cas de canicule) où l’établissement est obligé de reporter à l’ARS (Agence Régionale de Santé) les prises hydriques de chaque résident.

Donc là on est vraiment dans une grosse complexité organisationnelle. Ce qu’on fournit avec le verre connecté Auxivia c’est un suivi et la traçabilité de l’hydratation pour des personnes qui en ont besoin au quotidien.

On ne se déshydrate pas en une heure ou une journée, c’est une courbe décroissante et il faut l’historique des données pour évaluer la situation.

Alexandre Faure : Qui sont vos clients ?

Antoine Dupont : La déshydratation concerne aussi bien les personnes âgées à domicile qu’en EHPAD. Nous avons décidé de commencer par le marché de l’EHPAD pour des raisons de débouchés. Nous estimons qu’il est plus simple de démarrer par l’EHPAD car le domicile est un secteur en structuration dans lequel il y a une ambivalence complexe entre payeur et utilisateur.

Alexandre Faure : Pour quelles raisons un EHPAD opte-t-il pour le verre Auxivia?

Antoine Dupont : Il y en a plusieurs.

  1. Le bien-être du résident. Par exemple installer ce système dans les restaurants thérapeutiques. On va suivre les personnes qui consomment beaucoup de laxatifs car on sait que le problème originel est une sous hydratation.
  2. Les EHPAD ont une obligation de moyens sur le suivi d’hydratation. Notre verre connecté leur permet d’avoir un moyen d’assurer cette obligation au vu des autorités de tutelle qui sont demandeuses de ce type de traçabilité.
  3. Le recours au verre connecté Auxivia permet d’améliorer la communication auprès des familles.

Comme nous captons beaucoup de données, sur un nombre important de résidents, nous pouvons faire sortir des tendances organisationnelles dans les établissements, ce qui permet à un directeur d’établissement de mieux piloter et manager ses équipes.

verre intelligent auxivia
Le verre… en toute simplicité

Comment fonctionne le verre d’Auxivia ?

Alexandre Faure : Comment fonctionne le verre connecté Auxivia ?

Antoine Dupont : C’est un service de suivi et de traçabilité de l’hydratation. La mesure est réalisée grâce à des verres connectés qui s’utilisent comme n’importe quel verre, qui passent en machine à laver classique.

Les verres ne sont pas attitrés à un résident particulier. Ce qui va permettre de reconnaître le résident auquel le verre est attribué c’est un système de balises d’identification qu’on met dans l’établissement. Ce sont des petites balises fixes qu’on place en chambre, qui fonctionne comme une antenne.

N’importe quel verre qui entre dans la chambre du résident suivi s’identifie à la balise. Nous avons également développé un système pour les repas, car les deux principaux lieux de prise hydrique sont la chambre et le réfectoire.

Au restaurant, la balise est intégrée dans un sous-bock sur lequel est noté le nom du résident. En début de repas on a juste à poser un verre une fois sur la balise pour identifier le résident. Ensuite, le verre n’est pas obligé d’être posé tout au long du repas, il est assigné à ce résident via le sous bock.

Ce protocole s’applique aux résidents pour lesquels un suivi permanent est nécessaire.

Nous avons également développé un système plus léger pour les suivis ponctuels ou de courte durée. La balise d’identification est intégrée dans un collier, ce qui permet de suivre la prise hydrique dans tout l’établissement pour le résident donné.

Ce système est adapté quand, par exemple pour deux ou trois semaines, j’ai un médicament qui nécessite un suivi hydrique. J’ai un nouveau résident qui entre à qui on doit faire un bilan d’hydratation.

verre intelligent auxivia 4
Le verre et sa balise

Alexandre Faure : Si je comprends bien, la balise est associée à un résident et lorsqu’on en approche un verre, elle le lie à son résident ?

Antoine Dupont : Exactement, c’est une technologie sur le Bluetooth – low energy.

Alexandre Faure : Comment le verre connecté mesure-t-il les prises hydriques ?

Une mesure par ultrasons

Antoine Dupont : Nous avons opté pour une mesure par ultrasons.

C’est une technologique qui est plus difficile à calibrer mais plus fiable. Elle va envoyer une onde vers la surface qui va rebondir.

La mesure de quantité se fait par la mesure de la longueur d’onde. 

Le poids est une technologie utilisée par certains concurrents mais c’est moins fiable que notre système et ça ne permet pas au verre de passer en machine à laver.

Pour passer en machine à laver le verre doit être complètement étanche et quand on a une mesure par le poids, c’est une partie du verre qui s’enfonce dans le socle (comme sur une balance de cuisine).

Alexandre Faure : Outre l’aspect pratique pour le lavage, quels sont les avantages d’une mesure par ultrasons ?

Antoine Dupont : Si vous avez une mesure de poids, je prends le verre, je remets du liquide, je rebois sans le reposer, je n’ai pas de tarage de la balance et je ne suis pas capable de savoir ce qui a été pris. Alors que l’ultrason le permet.

D’autre part, les verres ont la capacité de faire de la distinction de bu / non bu. On sait si c’est vraiment une prise hydrique ou si le verre s’est renversé.

Alexandre Faure : Le verre a-t-il d’autres atouts ?

Antoine Dupont : Oui, dans la partie basse, nous avons intégré un système lumineux qui se déclenche avec des respirations bleues pour inciter le résident à s’hydrater ou toute personne qui passe à inciter le résident à s’hydrater (Aides soignantes, famille, etc.)

Alexandre Faure : Comment les établissements suivent-ils les mesures ?

Nous mettons à disposition une interface EHPAD qui est utilisable par les professionnels. Elle va restituer les résultats pour les personnes suivies avec des courbes de tendance et des versions imprimables, par exemple pour les autorités de tutelle, en cas d’hospitalisation ou en cas de Plan Bleu, on peut automatiquement imprimer l’ensemble d’un ou de tous les résidents.

Alexandre Faure : Comment garantissez-vous la sécurité des données collectées ?

Nous sommes en hébergeur données de santé. Toutes nos données sont anonymisées.

L’établissement accède aux données nominatives mais pas nous. Enfin, nous captons sur des données faiblement sensibles.

la team Auxivia
la team Auxivia

Alexandre Faure : Depuis combien de temps le verre intelligent Auxivia est-il commercialisé ?

Nous avons eu deux ans de recherche et développement jusqu’à l’industrialisation. Pendant cette phase nous avons fait des tests pilote en établissements.

Nous sommes rentrés en phase commerciale depuis septembre 2017 et aujourd’hui nous équipons douze EHPAD, ce qui représente un près de 400 résidents suivis au quotidien.

Quels sont les marchés d’Auxivia ?

Alexandre Faure : Avez-vous des clients autres que les EHPAD?

Antoine Dupont : Nous avons commencé à faire de l’équipement à domicile, toujours en BtoB. Nous avons trois opérations : deux pour des personnes âgées dépendantes : équipement pour un SSIAD, un pour un SPASAD.

Le cas d’usage c’est qu’il y a une grosse difficulté à suivre l’hydratation à domicile du fait qu’il y a moins de personnel qu’en EHPAD et donc de prévenir de potentiels risques de déshydratation, notamment pour des périodes critiques.

Le troisième client hors EHPAD sort de la silver économie : nos verres permettent de faire du suivi de compléments nutritionnels oraux, boissons hyper-protéinées dans le cadre de prises en charge hospitalières.

Nous allons faire du suivi de complémentation nutritionnelle orale pour des personnes atteintes de cancer en hospitalisation à domicile pour qui l’observance de ces complémentations est très faible, ce qui engendre une mise en nutrition parentérale ou entérale, souvent très tardivement avec des décalages de chimio, etc. Notre suivi permet d’éviter cela.

Auxivia, membre actif de Silver Valley

Alexandre Faure : Vous êtes adhérents du cluster Européen Silver Valley, pouvez-vous expliquer ce que vous apporte cette structure ?

Antoine Dupont : Nous avons adhéré à Silver Valley dès la création d’Auxivia. En 2017, nous avons été lauréats de la bourse Charles Foix.

C’est pour nous une manière de crédibiliser le travail de l’équipe. Silver Valley est un cluster qui apporte beaucoup de mise en relation entre les membres.

Le travail qu’a fait Benjamin Zimmer en tant que DG de l’association a été très bénéfique pour nous car cela a mis en lumière une certaine frange de l’économie.

Nicolas Menet a succédé à Benjamin Zimmer en décembre 2017. C’est quelqu’un qui connait bien le secteur et qui est bien capé pour continuer la mission. Ils sont très proches des entrepreneurs, nous conseillent et nous accompagnent. Enfin, ils sont hyper accessibles, très à l’écoute et facilitateurs.

Le marché des objets connectés pour seniors

Alexandre Faure : Aujourd’hui la croissance du marché des objets connectés est inférieure aux prédictions. Est-ce que vous pensez que dans le cadre du bien vieillir et du maintien à domicile, les objets connectés et la domotique pourront bientôt apporter une aide significative ?

Antoine Dupont : Je pense qu’il y a plusieurs aspects. Le premier c’est que la génération qui entre dans du maintien à domicile aujourd’hui n’est pas une génération qui verra une forte adoption de l’objet connecté directement.

Il y a un fort réapprentissage nécessaire et c’est encore plus dur à 80 ans. En outre, l’utilisateur payeur est complexe dans ce secteur d’activité. Je ne pense pas que l’âge d’or de l’objet connecté pour les personnes âgées en perte d’autonomie viendra avec cette génération-là.

L’émergence des objets connectés et de la domotique viendra par une attaque plutôt BtoB du marché et avec un service aux professionnels dans le cadre d’une prise en charge d’une personne âgée dépendante.

Antoine Dupont

Aujourd’hui on est dans des secteurs d’activités où les personnes sont de plus en plus dépendantes, où les moyens humains peuvent être contraints et où il faut réfléchir à comment apporter une couche servicielle dans le cadre d’une prise en charge professionnelle avec des objets connectés.

L’aspect serviciel et aide aux professionnels est extrêmement important et je pense que c’est plutôt là-dessus qu’on va apporter une valeur au secteur.

Alexandre Faure : Vous avez abordé à deux reprises la problématique de l’utilisateur-payeur, comment se traduit-elle dans votre relation avec les utilisateurs finaux ?

Antoine Dupont : Nous dans le cadre de l’équipement d’un établissement, c’est l’établissement qui prend en charge le budget de déploiement, ce n’est en aucun cas le résident. Après peut se poser la question de la refacturation aux familles résidentes, mais ce n’est pas de notre ressort.

Alexandre Faure : Quel est pour vous l’avantage d’une approche BtoB ?

Dans une approche BtoB, on passe par des intermédiaires avec des forces de frappe plus importantes qui gèrent la diffusion et la logistique.

Alexandre Faure : Avez-vous des contacts de particuliers qui souhaitent s’équiper de votre solution, et pour quels besoins ?

Antoine Dupont : En effet, nous recevons beaucoup de demandes BtoC. Elles n’émanent pas de la personne âgée mais de ses aidants qui veulent pouvoir la surveiller à distance.

Nous avons également des contacts avec des personnes qui sont dans la dépendance suite à un accident, sont handicapées, diabétiques et nécessitent aussi un suivi d’hydratation. Nous n’excluons pas une ouverture sur le marché des particuliers mais cela n’est pas prévu pour le moment.

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