Trop belles pour toi

Vieillir est un phénomène naturel. Peu importe notre mode de vie, notre personnalité ou nos origines, nous vieillissons. C’est un processus évident et incontournable de la vie. Vieillir permet d’évoluer, d’apprendre et d’accumuler de l’expérience, ce qui contribue à faire de nous (a priori) de meilleurs individus.

Partant de ce principe, pourquoi l’image de la personne âgée ou de l’être vieillissant devrait-elle être dégradée ? Pourquoi certaines personnes sont-elles invisibilisées à cause de leur âge ?

Cette expression de l’âgisme mobilise contre elle des activistes, des artistes et des militants que nous voulons mettre en lumière. Car le combat contre la discrimination sur l’âge est capital.

Dans ce cadre, Sweet Home a eu la chance de s’entretenir avec Ema Martins, photographe et scénographe qui fait gloire à la femme cinquantenaire. Au fil de cette interview, nous vous invitons à découvrir l’oeuvre artistique d’Ema Martins : Ainsi soient-elles – Ode aux déesses Silver, un livre photo engagé pour lutter contre l’invisibilisation des femmes de plus de 50 ans, les «Silver».

Découvrez ses inspirations, son univers et ses rencontres qui alimentent son désir de donner de la voix aux Silvers de notre société : Sandie Masson, Maria Le Dréau ou encore Véronique Bessières.

Aviez-vous des attentes concernant les femmes que vous avez rencontrées ?

Ce n’est pas réellement une question d’attente, ne serait-ce que déjà pour avoir, entre guillemets, choisi les femmes que je voulais photographier. J’ai beaucoup marché par coup de cœur, mais ça peut être un coup de cœur photographique de par ce qu’elle dégage, ou alors parce qu’elle était dans un secteur particulier, c’est plein de choses comme ça.

J’étais juste, un peu nerveuse ou surexcitée de les rencontrer. Parce que ce n’est pas forcément évident quand on ne connaît pas les personnes. Et même si j’ai échangé quelques messages ou je les avais au téléphone, je me disais, il va falloir faire le shooting, apprendre à les connaître… Juste de vivre ce moment et de les rencontrer enfin. Autrement que via les réseaux, où on échangeait.

Est-ce que votre différence d’âge avec elles a été un problème?

Ce que je dis à chaque fois, c’est que quand j’ai démarré la série, j’avais envie de photographier des femmes de plus de 40 ans et dans un univers gris, noir et blanc. Mais je n’avais pas tout ce qu’on voit dans le livre sur le questionnement d’invisibilité. Tout ça, je l’ai vu au fil de mes rencontres et du développement du projet de la série photographique.

Au début, il n’y avait pas forcément de questionnements. Je discutais, j’apprenais à les connaître, à savoir ce qu’elles étaient. Plus on avançait, plus il y avait en effet certaines questions qui étaient ciblées. Mais par rapport à mon âge ou autre, il n’y en avait pas trop. Cela s’est tellement fait naturellement. Je ne préparais pas forcément mes questions ou ce genre de choses. Je faisais aussi en fonction de la femme que j’avais en face de moi, du feeling qu’on avait et de ce qu’elle avait envie de dire. Naturellement, tout simplement.

Comment êtes-vous arrivée au choix des chapitres : de la phase d’invisibilité à l’émancipation?

À un moment, en début d’année 2021 je commençais déjà à « rassembler ». Dès le départ, je voulais en faire un livre photographique où je mêlerai récits et témoignages. J’essayais de maquetter, moi toute seule, le livre, savoir à quoi ça pourrait ressembler. Donc, je commençais déjà à écrire les récits. Et puis, il y a des mots comme ça qui me sont venus.

L’invisibilité parce qu’elle revient à chaque fois. J’ai toujours aimé mettre en avant l’émancipation. Il n’y a pas d’âge pour s’émanciper, pour vouloir être… Ce qu’on veut être et faire des choses. Peu importe qu’elles soient personnelles ou professionnelles.

J’ai beaucoup partagé ça avec mon entourage, et de fil en aiguille, j’avais les idées comme ça. On les a rassemblé et on s’est dit que ça pourrait être pas mal de mettre cinq étapes à partir de cette question, de leur invisibilité, qui est la base. De voir tout ce cheminement entre les émotions diverses qu’on peut avoir, et ce que je voulais aussi  retranscrire dans les shooting jusqu’à cette émancipation là.

On observe une évolution dans vos choix artistiques, entre les accessoires ou encore les poses. C’est venu au fur et à mesure ?

Pour partir vraiment du point de départ : j’ai déjeuné avec mon compagnon, je lui ai dit «Voilà, moi, je veux faire une série : Des femmes de plus de 40 ans avec un univers gris». On a fait le premier shooting en décembre 2019, avec la mannequin / photographe / directrice artistique, Alexia Vic, avec qui j’ai appris la photographie donc je voulais démarrer avec elle. J’avais juste acheté le fond gris. Au fur et à mesure, la série a évolué. Je parle sur le plan artistique et de la photographie.

Au départ je n’avais même pas tout le décor, j’avais ni échelle, comme on peut voir, ni de miroirs, ni la table, rien du tout. Et puis, plus on avance, plus j’ai appris aussi à me connaître dans mon univers photographique et personnel. Je crois que tout a évolué au fur et à mesure, parce que le projet a mûri. De part des réflexions et par diverses choses. Par la suite j’ai acheté une table, par exemple. À un moment donné je voulais une échelle, elle est arrivée un an après la série, le miroir pareil et voilà.  

Plus, je prenais d’assurance avec le projet et avec les femmes. Par exemple, on allait à la table, à l’échelle ou au miroir. Je leur demandais comment elles s’accaparaient l’objet de décor. Comment elles se mettraient ? Il n’y avait plus qu’à replacer ou autre, si besoin, pour que ce soit aussi le plus harmonieux à l’image. Mais l’idée, c’était aussi qu’il y ai un réel investissement aussi du modèle et qui propose aussi quelque chose. Que l’on construise quelque chose ensemble et unique à chaque fois.

Dans Ainsi soient-elles, il y a un moment où vous dites « J’ai 20 portraits. Ce n’est pas assez » Comment êtes-vous arrivée au point d’en avoir 45 ?

Lorsque j’en ai eu 20, c’était il y a bien un an, et on me demandait quand sortait mon livre, quand est-ce que je fais quelque chose, comme s’il fallait que le projet sorte. En plus de ça, je travaille beaucoup. On est un groupe de photographes. Certains ont sorti des livres ou des expos. Quand il y avait des événements, on me demandait quand était mon tour. Et moi, je le sentais pas. Je me disais que ça manquait de quelque chose.

Je ne regrette pas d’ailleurs, parce que j’ai rencontré encore plus de femmes. Il y a eu encore des choses qui se sont passées intensément cette année. C’est là où ça à vraiment pris forme d’une certaine manière. Au moment où il y a eu l’accord avec l’édition, je crois qu’il ne me restait plus beaucoup de femmes, j’étais proche des 40 et je me suis dis que pour le côté un peu symbolique de vouloir commencer à partir de 40 ans, 40 femmes était plus adéquat.

Il y a eu encore d’autres rencontres qui se sont rajoutées, des femmes que j’avais contactées, soit pendant le confinement ou avec qui ça ne s’était jamais fait. J’étais quasiment à la fin de la maquette. Il fallait que ça parte en impression et c’est à cet instant que j’ai rajouté la dernière femme : Caroline Loeb, chanteuse, metteuse en scène, actrice.

Tout ça fait qu’à la fin, on est arrivé à 45 et il fallait que je m’arrête là. Mais c’est aussi l’envie de rajouter les femmes parce qu’il y a le cœur qui parle. Finalement, 45 c’est un beau chiffre quelque part. On est dans la quarantaine. Souvent, on démarre à partir de 50 ans sur le questionnement de l’invisibilité, etc. Mais il y a aussi cette décennie entre 40 et 50 ans où il y a vraiment parfois une remise en question qui commence et un côté : « Qu’est ce que je vais devenir ? »

Sur le thème de l’âge, lisez notre article : âge chronologique, âge biologique : quelle est la différence ?

Une rencontre vous a-t-elle particulièrement marquée?

Moi, je dis que toutes les rencontres ont été uniques et que je ne peux pas dire qu’il y en ait qu’une parce que les 45, vraiment, m’ont apporté à différents niveaux, mais elles m’ont apporté quelque chose. Maintenant, il y a eu Caroline Ida, qui est mannequin, influenceuse et qui à aussi sont côté «Silver». Elle est arrivée un peu à mi parcours, dans la série de shooting et ça a été vraiment un rebond. On a beaucoup échangé.

Chaque fois, je disais aux femmes que je peinais à donner un mot pour décrire les femmes que je photographie, elle me disait : «sexygénaire», «Silver» etc. Et je trouvais ça génial. À partir de ce moment là, je disais «Silver». Elle a été vraiment, comme beaucoup des femmes de la série, de bons conseils, elle a été très présente quand même sur certains points, notamment par rapport au livre.

Elle a également sorti un livre aux éditions Kiwi, du coup, elle m’a mise en contact.  Il y a plein de choses comme ça qui font que souvent, c’est une femme qui m’a amené à une autre femme. Elles ont toutes contribué au projet, d’une certaine manière.

Qu’est-ce qui manque dans la société pour changer le regard sur les femmes?

Moi, je déteste les effets de mode. En fait, il y a un effet de mode, on en parle pendant un temps. Et puis finalement, on en entend plus parler. À la fin, on se dit est -ce que ça a vraiment changé ? Parce que c’est long de changer les choses. C’est aussi une question de génération en génération.

Je dirais pas forcément ce qui manque, mais il faut arrêter un peu les effets de mode. Mais il y a un autre effet de mode qui arrive après. Est ce que ça change vraiment à la fin ? Je ne sais pas. Je me pose la question. Il faut juste que ça rentre dans les mœurs et que ça se banalise. Ce sujet là qui me tient à coeur c’est en le diffusant au maximum et que chacun y contribue d’une certaine manière. Mais ce n’est pas évident.

J’aimerais bien faire des séances de dédicaces un petit peu partout. Le rêve absolu c’est de réunir vraiment toutes les femmes. Ce serait super. Même avec une énorme exposition, quelque chose d’encore plus grand. On espère, peut-être !

Ema Martins

Dans les témoignages que vous avez reçus, il y en a qui vous ont vraiment questionnée ?

Pas forcément au niveau du questionnement, mais par la beauté du texte. Début d’année, j’avais commencé à recueillir des témoignages, mais ce n’était pas très clair. D’une certaine manière, le côté en cinq étapes, le questionnement, etc. J’ai vraiment réussi à bien tout finaliser à la fin parce que moi, quand je photographie, je photographie et après, il y a l’aspect écriture et témoignage et ce sont deux choses différentes.

Pour le coup, faire les choses en même temps, ce n’est pas trop ma conception, donc j’avais commencé à recueillir quelques témoignages et dans les premiers, il y en avait un qui m’avait particulièrement touché. Je connaissais un petit peu la personne par rapport à ce qu’elle m’avait dit et donc la manière dont elle l’a écrit je trouvais ça très beau. C’est celui de Sandie Masson. La beauté dans tout ce qu’elle a dit. Je trouvais ça très beau.

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