Eric fontaine dénutrition

Un Collectif de lutte contre la dénutrition, pourquoi faire ?

Définir la dénutrition ?

La dénutrition est une maladie qui survient lorsque les apports alimentaires sont insuffisants à couvrir les besoins nutritionnels.

Dans les pays d’abondance alimentaire, la manifestation principale de la dénutrition est l’anorexie, dont les causes sont potentiellement multiples.

Chez les enfants et les adultes jeunes, une pathologie sévère est le plus souvent impliquée : cancer, mucoviscidose, pathologies digestives, insuffisance rénale, respiratoire, hépatique ou cardiaque, brûlures étendues, anorexie mentale, etc.

Chez les personnes âgées, ces mêmes pathologies sont retrouvées, mais elles rentrent souvent dans le cadre de la polypathologie et de la polymédication, avec des troubles de la mobilité, des troubles cognitifs, une dépendance, des troubles bucco-dentaires ou un isolement social.

On estime à 2 millions le nombre de personnes souffrant de dénutrition en France.

La gravité de la dénutrition tient à l’importance de la fonte musculaire.

Celle-ci est difficilement mesurable précisément en pratique clinique, mais est très corrélée à la perte de poids totale.

La perte de poids est l’indicateur le plus sensible de la dénutrition, qu’elle survienne chez une personne mince, de poids normal ou obèse.

La dénutrition a des conséquences concrètes mesurables :

  • Le risque de complications médicales et chirurgicales augmente.
  • Les infections nosocomiales sont trois fois plus fréquentes chez les malades sévèrement dénutris que chez les non-dénutris.
  • Le délai de cicatrisation des plaies s’allonge,
  • La récupération fonctionnelle est ralentie.
  • Enfin, on constate une augmentation de la durée de séjour à l’hôpital, des réadmissions non programmées et de la mortalité.

Qui est Eric Fontaine ?

Éric Fontaine est médecin et professeur en nutrition au CHU de Grenoble.

Le Professeur Fontaine a lancé le Collectif de Lutte contre la Dénutrition afin de sensibiliser l’opinion publique à cette maladie terrible et pourtant méconnue.

Dans son interview, le professeur Fontaine vous explique en détails pourquoi la dénutrition est un tel fléau et ce qu’il faudrait faire pour y remédier.

La genèse du Collectif de Lutte contre la Dénutrition

Lorsqu’il était président de la société française de nutrition clinique et métabolique, le Professeur Fontaine a cherché à comprendre pourquoi la dénutrition est si mal connue, reconnue et prise en charge dans les pays “riches”.

Cette réflexion est partie du constat que le pourcentage de personnes hospitalisées souffrant de dénutrition n’a pas diminué en 40 ans, malgré les progrès de la médecine.

Le professeur et ses confrères ont recherché des moyens pour inverser la tendance, en sensibilisant l’opinion et les pouvoirs publics aux problèmes liés à la dénutrition.

Ils ont lancé en 2015 Le Collectif de Lutte contre la Dénutrition.

Cet organisme citoyen est ouvert à tous. Son objectif : médiatiser la dénutrition pour que le public trouve que la cause est juste, fasse bouger les élus et par ricochet, changer le paradigme.

Interview exclusive du Professeur Eric Fontaine (Collectif de Lutte Contre la Dénutrition) par Alexandre Faure .

Alexandre Faure : Bonjour Professeur Fontaine, vous pointez du doigt la mauvaise compréhension des messages de santé publique sur l’alimentation, notamment “cinq fruits et légumes par jour”. Quel est le problème ?

Professeur Eric Fontaine : Les gens ne comprennent pas ces messages. Ou sinon ils ne les appliquent pas et par contre, c’est au moment où ils sont malades, où ils ont par exemple un cancer et qu’ils commencent à maigrir qu’ils commencent à manger des fruits et légumes. Mais à ce moment-là, ils devraient adopter un régime alimentaire plus riche.

La nourriture pour prévenir n’est pas la même que la nourriture pour guérir.


Alexandre Faure : Que faut-il faire ?

Pr Fontaine : Tout l’inverse de ce qu’on fait aujourd’hui !

Il ne faut pas donner aux malades hospitalisés des plateaux trop gros avec beaucoup de fruits et légumes. Ils vont peut-être manger les fruits et légumes mais pas la viande, pas les œufs.

Les malades hospitalisés devraient manger les protéines en priorité et les plateaux-repas ne les y incitent pas.

Les nutritionnistes essayent de faire grossir les gens avec des plateaux pensés pour que les gens ne grossissent pas !

Il y a un contresens là-dedans qu’on doit essayer de changer et c’est un travail de longue haleine. C’est pour cela que je vous remercie de participer à l’enrichissement du débat. Il y a beaucoup de choses à faire pour changer de paradigme.

Certaines sont coûteuses mais la plupart ne sont pas coûteuses. Cependant, elles sont très dérangeantes et heurtent les convictions de professionnels du médical et du paramédical, mais aussi la vision des familles qui pensent que c’est lorsqu’une personne a le cancer qu’elle devrait manger des fruits et légumes.

Ce régime sert à le prévenir le cancer, il n’a pas d’effet curatif.


Alexandre Faure : Comment la maladie agit-elle sur l’appétit ?

Pr Fontaine : Quand vous êtes malade, vous avez un tout petit appétit, donc ce n’est pas grave de manger des choses riches, c’est même ce qu’il faut faire. Mais évidemment, c’est contre intuitif.

Comme vous n’avez plus d’appétit, il ne faut pas manger des choses volumineuses, il faut manger des choses denses. Des choses qui font grossir.

Le problème des personnes qui souffrent de dénutrition, ce n’est pas qu’elles ne mangent pas assez c’est qu’elles ne mangent pas assez des aliments qu’elle devrait manger.

C’est le régime qui n’est pas adapté.

Il y a deux cas de figure :

La première possibilité, c’est la personne qui mange moins mais qui mange encore.

Celle-là, il faut la nourrir plus. Comme elle ne peut pas manger plus en volume, il faut mettre plus de calories dans le même volume.

C’est ce qu’on appelle l’enrichissement.

Cela peut se faire de manière très simple, en mettant une plaquette de beurre sur le plateau. Le malade, quand il a du pain et du beurre, ça passe à peu près, il va le manger. Il ne va pas manger des plats très odorants, parce qu’il a envie de vomir.

Il faut vraiment s’adapter. Quand vous êtes malade avec une perte de goût, une modification des goûts ou une perte de l’appétit, ce n’est pas le même menu que quand vous êtes convalescent : la maladie est passée, vous dévorez tout.

La difficulté c’est de nourrir des gens qui n’ont pas faim en se disant qu’il faut les nourrir quand même.

L’étape suivant, c’est la personne qui ne peut plus s’alimenter seule parce qu’elle a perdu vraiment trop de poids.

Il existe des systèmes de nutrition artificielle pour nourrir le corps qui ne veut plus manger. On met un tuyau dans l’estomac ou dans une veine et on nourrit les gens.

Mais cette extrémité devrait seulement concerner 10% des gens dénutris. La plupart des situations devraient être réglées par des conseils et une offre alimentaire adaptée..

Malheureusement, cela n’est pas fait pour plein de raisons :

  • Parce que les gens n’y ont pas pensé.
  • Parce que les diététiciens qui sont là pour vous apprendre ce qu’on doit manger, ils sont trop peu nombreux, ils ne sont pas remboursés. La consultation dure ½ heure et n’est pas remboursée. Parfois les mutuelles vous en remboursent une ou deux dans le cadre du forfait confort. Mais ce n’est pas du confort, c’est un traitement.

Nous voulons que les gens soient coachés par une diététicienne qui les rencontre tous 15 jours et les accompagne.

L’appétit des personnes âgées

Alexandre Faure : On entend souvent dire que les personnes âgées ont moins d’appétit, que c’est pour cela qu’elles mangent moins, quel est l’avis du diététicien sur ce sujet ?

Pr Fontaine : C’est ce qu’on appelle des contre-vérités.

C’est pour tordre le cou à ce type de croyance que nous recommandons aux pouvoirs publics de créer un site officiel labellisé par la République Française pour dire “attention aux fausses idées sur la nutrition”.

L’idée la plus fausse de toutes c’est de dire que les personnes âgées ont moins de besoins nutritionnels.

Les personnes âgées ont besoin de manger plus de protéines

La digestion des protéines, ça coûte un peu. Les protéines sont faites avec des acides aminés et il y a un organe, le foie, qui prend des acides aminés comme une taxe, comme de la TVA si vous voulez. Et la TVA augmente avec l’âge.

Le nom scientifique de ce phénomène, c’est “La séquestration splanchnique”. C’est la raison pour laquelle les personnes âgées doivent manger plus de protéines.

Le besoin, pour un adulte jeune c’est 0,8 gramme de protéines par kilo et par jour et c’est 1 gramme chez l’adulte âgé. Donc une personne âgée a besoin d’un apport en protéines 20% supérieur à celui d’un adulte « jeune ».

L’alimentation française normale couvre très largement ça car en France nous mangeons un peu trop de protéines. Mais dès que la personne est malade, elle se remet en dessous de ce seuil.

Les personnes âgées ont plein de bonnes excuses pour expliquer qu’elles n’ont pas faim, mais en réalité elles ont tort.

Cette proposition de site officiel permettrait de rationaliser. Quand vous tapez nutrition sur internet, vous avez plus facilement accès à gourous et des déclarations hérétiques que des avis scientifiques.

Publics exposés à la dénutrition

Alexandre Faure : Les personnes âgées sont-elles plus exposées à la dénutrition que les autres ?

Pr Fontaine : La dénutrition touche environ la moitié des personnes qui ont une maladie chronique, quel que soit leur âge.

Comme les maladies chroniques sont assez fréquentes chez les personnes âgées et que ces dernières en ont souvent plusieurs, la proportion de gens dénutris augmente avec l’âge.

Pour vous donner un ordre d’idée, on estime que 30 à 40 % des patients des hôpitaux sont dénutris, mais le ratio passe à 60 – 80% en Ehpad.

Alexandre Faure : Est-ce la maladie ou le traitement qui provoque la dénutrition ?

Pr Fontaine : Les deux.

Il y a plein de maladies qui peuvent vous couper l’appétit et il y a plein de traitements qui vont aussi vous couper l’appétit.

Par exemple, la chimiothérapie coupe l’appétit. La morphine donne la nausée. Dès que vous avez une inflammation chronique, vous avez une perte d’appétit.

Essayez d’imaginer votre état lorsque vous couvez un petit virus. Vous avez des frissons partout, mal aux articulations, le nez qui coule, pas faim. Quand vous aurez de nouveau faim, dans un ou deux jours, vous saurez que le virus est passé.

Cette expérience qu’on a tous faite lors d’une infection bénigne, les gens qui ont une maladie chronique font la même, de manière plus progressive.

Ils le perçoivent moins, et puis cela dure beaucoup plus longtemps. Ils vont manger un petit peu moins, mais ils vont continuer à manger. Mais ils ne vont pas couvrir leurs besoins, donc ils vont maigrir.

Le premier signe de dénutrition, c’est l’amaigrissement, sans qu’on ai fait de régime.

Les gens maigrissent

Souvent ils sont contents parce que toute leur vie, leur médecin généraliste leur a reproché leur poids. On culpabilise beaucoup les patients sur leur poids qui n’est pas bon pour le diabète, qui n’est pas bon pour la tension, etc.

C’est vrai, mais est-ce que culpabiliser les gens ça règle les choses ? Si c’était le cas, il n’y aurait plus d’obèses. Les discours culpabilisants ne servent rigoureusement à rien mais ils sont tenus toute la vie et cela explique que lorsque les gens se mettent à maigrir au début ils sont plutôt contents.

Et puis en réalité à un moment on se rend compte que c’est le cancer : 40% à 50% des cancéreux sont dénutris.

La réversibilité de la dénutrition

Alexandre Faure : La dénutrition est-elle réversible ?

Pr Fontaine : Au début, la dénutrition est réversible.

Mais plus le patient est dénutri, plus il est difficile d’inverser la tendance. En fonction de la pathologie, nous pouvons juste arrêter l’aggravation.

Prenons le cas d’un malade qui me consulte parce qu’il a perdu dix kilos. S’il a perdu dix kilos parce qu’il a un cancer qui est en train d’évoluer, la seule chose que je peux lui promettre c’est qu’il va arrêter de maigrir.

Mais grossir, ce n’est pas possible.

Reprendre du poids, cela veut dire qu’on est guéri.

Vous savez que globalement maintenant on a chronicisé la majorité des cancers, donc même des cancers qui avaient il y a vingt ans un mauvais pronostic ont maintenant un pronostic bien meilleur car le progrès médical a augmenté l’espérance de vie des malades.

Quand j’ai commencé médecine il y a trente ans. Un cancer du côlon avec des métastases hépatiques, l’espérance de survie était de six mois. Maintenant la même maladie a une espérance de survie comprise entre six et dix ans.

Quelqu’un qui avait six mois devant lui n’avait pas le temps d’être dénutri. La dénutrition était là mais cela n’était pas un problème.

Le progrès médical fait que justement on allonge l’espérance de vie. Donc, la dénutrition a le temps de devenir un problème majeur.

Il faut voir la dénutrition comme un progrès !

C’est paradoxal. C’est le témoin d’un progrès médical.

La question n’est pas que les gens vivent éternellement mais c’est qu’ils vivent le plus longtemps possible, de la manière la plus autonome possible et avec la meilleure qualité de vie possible.

Pour cela, la prise en charge de la dénutrition marche très bien, notamment au début.

C’est pour cette raison que notre première préconisation est de peser les malades.

Et même peser tout le monde.

Les gens doivent se peser et tout amaigrissement de 2 ou 3 kilos, sans qu’on ait fait un régime doit alerter.

Et c’est pareil pour les gens qui grossissent sans qu’il y ait une raison.

Le poids doit être quelque chose de relativement stable. Sur la vie on prend tous souvent 500 grammes par an, ce n’est pas le problème.

Mais très souvent quand on regarde les obésités importantes, les gens ont pris des kilos dans un délai de temps très très court. C’est souvent sur un an ou deux qu’ils ont pris 50 kg avant de se stabiliser en surpoids.

C’est une marche qu’il ne fallait pas franchir, une fois que ça commençait il fallait trouver la solution. Une fois que vous êtes en haut de la marche, pour la descendre, c’est compliqué.

Et bien la dénutrition, c’est pareil. Il faut faire la marche dans le sens inverse, le plus petit possible. 2 ou 3 kg, vous devez avertir votre médecin, lui demander pourquoi vous maigrissez. On trouve très facilement des solutions pour arrêter à 2 ou 3 kg, voir si c’est une maladie bénigne, les reprendre.

Mais quand vous avez perdu 10 kg, c’est autre chose

Tous les jours je vois des malades à qui on dit “Vous avez trop maigri, je ne peux pas vous faire le traitement, allez voir le docteur Fontaine, il va vous retaper”.

Mais moi, quand les gens ont perdu 10 ou 20 kg, la seule chose que je peux promettre c’est “vous allez arrêter de maigrir”. Et ils sont déjà très contents parce que je peux vous dire qu’un malade qui a perdu 20 kg, il n’ose plus se peser parce qu’il sait très bien que ça n’est pas normal.

Les gens sont extrêmement angoissés de maigrir quand ils le font de manière involontaire et à chaque fois on leur dit l’inverse de ce qu’on leur dit d’habitude : “il faut vous forcer à manger”.

Or vous ne pouvez pas vous forcer quand vous n’avez pas faim. On ne peut pas se forcer de manger quand on n’a pas faim. Quand vous êtes malade, le cerveau vous donne le dégoût de l’aliment ou la satiété de manière beaucoup trop précoce.

La dénutrition est comprise comme un symptôme alors que c’est une complication.

Alexandre Faure : Aujourd’hui, la maladie est dépistée par le médecin mais la perte de poids n’est pas accompagnée ?

Pr Fontaine : Oui, parce que la perte de poids est considérée comme un symptôme.

C’est comme la douleur. La douleur c’est un symptôme qui est traité. Les gens ne veulent pas avoir mal.

C’est une maladie supplémentaire. C’est tellement vrai que vous n’êtes jamais mort d’avoir trop mal aux dents alors que la dénutrition tue.

La dénutrition affaiblit les défenses immunitaires et dans l’immense majorité des cas, les gens meurent d’infection.

Très souvent d’infection pulmonaire. L’exemple typique c’est l’épidémie de grippe. La grippe touche essentiellement des dénutris, mais comme personne n’a fait le diagnostic, on ne s’en rend pas compte. Il y a deux ans, l’épidémie a fait 19 000 décès en 2 mois. 2 millions de malades et presque 1% des malades qui en sont morts !

La dénutrition transforme une maladie bénigne en maladie mortelle !

Tout le monde est touché mais celles ceux qui en meurent sont dénutries. C’est le même virus. Il se développe plus fort dans un cas que dans l’autre.

Tout le monde comprend que le problème est important mais personne n’a fait la démarche intellectuelle de dire que la dénutrition diminue l’immunité.

Ce que tout le monde sait.

C’est un syndrome d’immunodéficience acquise. C’est comme le sida sauf que ce n’est pas transmissible par un virus. Ce n’est pas les mêmes microbes qui tuent mais les gens meurent de trucs bénins. La grippe, la pneumonie… Dans l’immense majorité des cas. Et donc, quand les gens vont mourir, on va dire “il est mort d’une pneumonie”, on ne dira jamais pour quelle raison. On dit “il était fragile”, ça veut dire quoi fragile ? Ça veut dire qu’on n’a pas fait le diagnostic de la cause de sa fragilité. Ce n’est pas une maladie d’être fragile. D’être dénutri, c’est une maladie. Et donc, c’est vraiment là où il faut que les gens comprennent que c’est une maladie à part entière qui très souvent complique une autre maladie.

Faits générateurs de la dénutrition

Alexandre Faure : Les maladies chroniques sont-elles le seul fait générateur de la dénutrition  ?

Pr Fontaine : Non, il y a d’autres causes.

Par exemple les personnes âgées en dépression ainsi que celles qui souffrent d’isolement perdent souvent l’envie de s’alimenter.

Un autre cas fréquent est celui des personnes âgées qui ont des problèmes bucco-dentaires. Ils ont mal, donc ils enlèvent le dentier, mais au lieu de se mixer des aliments spontanément comme on ferait pour un bébé, ils attendent en se disant que ça va passer. Ils mangent moins car ils ne mangent que des choses qui ne font pas mal.

Ces situations sont complexes à gérer pour l’entourage.

Il faut un ensemble d’accompagnement pour que les gens reprennent confiance dans la parole médicale. Qu’elles comprennent qu’il y a des choses bien pour elles-mêmes si elles ne sont pas bien pour les autres.

A cet âge-là, les kilos perdus, on ne les reprend plus.

Il y a vraiment là aussi un besoin d’information au public qui est majeur parce que même quand on dit ce qu’il faut faire, les gens ne font pas car ils ne sont pas convaincus que c’est grave.

Il faut que les gens soient convaincus que c’est très grave de maigrir, encore plus quand on est âgé.

Vous vous cassez une jambe au ski, avec le plâtre, vous allez maigrir c’est normal. Quand on a trente ou quarante ans, les muscles on les reprend. A 50 ou 60 ans c’est un peu plus compliqué. A 80 ans, on ne reprend plus ce qui est perdu.

On prend de la graisse mais on ne prend plus de muscle. Donc il est fondamental de ne plus en perdre. Il faut absolument dire aux gens : “ce n’est pas normal de maigrir quand on vieillit”.

  • Les personnes âgées en bonne santé ne sont pas maigres.
  • Les personnes âgées en bonne santé n’ont pas maigri.
  • Les personnes âgées qui maigrissent ne sont pas en bonne santé.

La première étape pour terminer en institution, c’est de maigrir.

Alexandre Faure : Que penser des personnes âgées qui grossissent ?

Pr Fontaine : Les vieux qui grossissent, je n’en connais pas !

Mais le cas échéant, ce n’est pas plus mal. Après évidemment, s’ils sont diabétiques c’est un autre problème parce qu’avec l’insuline de temps en temps. Il faut faire une exception pour le diabétique à l’insuline car c’est une hormone qui fait stocker le sucre et la graisse. Ceux qui ont un diabète mal équilibré et ont besoin d’insuline, ils grossissent. Mais ce n’est pas naturel.

Une action citoyenne

Alexandre Faure : Avec le collectif , vous privilégiez une action citoyenne plutôt qu’une action auprès des professionnels de santé, pourquoi ?

Pr Fontaine : Parce que celle auprès des professionnels, on l’a fait, ils nous disent “oui vous avez raison “ et puis c’est tout.

La médecine est spécialisée sur un organe ou sur une pathologie.

Très peu de médecins ont une vision globale. De même en médecine générale. Le généraliste n’a pas non plus la vision globale. Il a une vision de puzzle qu’il assemble. Il essaye de s’y retrouver mais lui aussi dans son esprit, il segmente les problèmes : le cœur, la tension, le diabète.

Le discours, le malade dans sa globalité, tout le monde le tient, mais c’est un discours. Dans la vraie vie c’est très compliqué parce qu’en fait on ne peut pas le faire tout seul. Le médecin généraliste tout seul ne peut pas faire ce discours de synthèse, il n’a pas moyen tout seul dans son cabinet de faire une synthèse par lui-même. En général, ces synthèses se font quand on fait des concertations collectives : c’est que quand on est plusieurs autour d’une table qu’on peut prendre un avis collégial.

C’est également problématique à l’hôpital

Aujourd’hui, à l’hôpital, les gens maigrissent et on leur dit “forcez-vous à manger” et donc on remet le patient en culpabilité. “Vous êtes trop gros vous mangez trop, vous êtes trop maigre, vous ne mangez pas assez”.

Dans les deux cas on demande un effort au patient, et ça c’est scandaleux. De culpabiliser les gens sur une maladie dont on sait que ça n’est pas la faute du malade. Que c’est le contexte, le traitement ou la maladie initiale qui cause ça.

Et les traitements adéquats avec les conseils nutritionnels et de temps en temps la nutrition artificielle, plutôt que de dire aux gens “vous n’avez qu’à vous forcer”. Le nombre de fois où j’entends ça à l’hôpital. Moi je fais souvent la visite au moment du repas. Comme ça, on regarde le plateau. Je constate que les gens ne mangent pas et je leur dis “ce n’est pas de votre faute”.

Quand vous dites à un malade qui ne mange pas que ce n’est pas de sa faute, vous voyez une lumière qui s’allume au fond des yeux, c’est la première fois que quelqu’un lui dit ça.

“Ce n’est pas de votre faute, c’est la maladie et les traitements qui vous coupent l’appétit”.

Ils sont souvent inquiets d’avoir maigri. En les rassurant, le malade il voit qu’il a enfin un docteur qui l’a compris, ça se voit au fond des yeux. On leur dit maintenant on va vous mettre un tuyau, ce n’est pas définitif mais ça permet d’arrêter l’amaigrissement et de redonner un peu de force. Habituellement ils sont tous d’accord.

Soigner la dénutrition

L’apparition de la dénutrition témoigne d’un progrès de la médecine, ce qui est totalement contre intuitif. Le fait qu’il faille manger du gras, du sucre quand on est malade, c’est aussi contre intuitif.

Les gens comprennent mais ils se disent “qu’est-ce que je vais pouvoir dire à mon cardiologue qui me dit que j’ai du cholestérol” ?

Un médecin qui dit “allez manger des pâtisseries”, c’est louche.

Les patients ont tellement l’habitude qu’on leur interdise des choses, ils tombent sur un médecin qui leur autorise des choses, ils trouvent ça louche.

Il m’est arrivé à des malades à qui j’expliquais ça qui disait “j’ai tout compris docteur mais si je dis ça à ma famille ils ne vont pas me croire », alors j’ai fait une ordonnance. J’ai prescrit un éclair au chocolat par jour. Et il y en a, ils sortent ils ont envie de nous embrasser, mais c’est ceux qui ont compris, les autres disent “ce n’est pas un vrai médecin”.

L’alcool, on n’ose pas en parler, alors que les personnes âgées qui toute leur vie ont avalé un verre de vin à table.
Pour quelle raison vous allez leur enlever le verre ?

Une personne qui a 80 ans, si elle n’a pas de cirrhose, elle ne la fera pas !

Et ce sont des calories, c’est du sucre. En plus, ça ouvre l’appétit !

Je me souviens avoir sevré un patient et à un moment je lui demande ce qu’il voudrait pour manger. Je crois qu’il avait au moins 85 ans et il me dit “toute ma vie j’ai bu un verre de vin en mangeant”, je me suis battu pour avoir du vin. Et une fois qu’il a eu son vin et autant dire que le vin de l’hôpital, c’était une horreur absolue et qu’est-ce qu’il faisait le monsieur, il mettait du vin dans de l’eau et il mettait du sucre. La petite canette de vin elle a fait une semaine. Ce monsieur avait besoin de ce rituel. Eh bien je suis allé le voir le jour où on a trouvé du vin, il pleurait.

Une marge de progrès !

La marge est haute, très haute, mais c’est faisable. Simplement il faut accepter de redéfinir tout. Accepter que ce qu’on va tester ne soit peut-être pas une bonne piste. Accepter qu’on aille peut être se tromper. Si on savait tout, ça se saurait. Mais le statu quo n’est plus possible.

Au niveau citoyen, comment convaincre les Français ? Beaucoup de personnes considèrent que c’est le médecin qui a raison. Elles ne vont pas changer de médecin parce qu’il ne les pèse pas !

Mais ça c’est parce que comme on ne les a pas informées, honnêtement, complètement et raisonnablement, ils continuent à avoir des schémas mentaux hérités du passé.

Or la dénutrition est une maladie moderne.

Alors que ça paraît ringard, vieillot.

Il faut reconnaître que contrairement à d’autres maladies, on n’a presque pas de médicaments. On a des gens qui proposent des substituts mais ne font pas les marges du médicament. Le médicament il coûte un et vous le vendez dix. Les laboratoires pharmaceutiques peuvent faire de la publicité, du lobbying extrêmement intensif, parfois même à la limite de ce qui est raisonnable et déontologique car ils ont une puissance de feu colossale.

En nutrition, nous travaillons avec des organismes qui fabriquent des produits qui sont denses, ce n’est pas du tout les mêmes budgets. Donc nous luttons contre une maladie qui est fréquente, grave mais ignorée et sans soutien financier.

Et on essaye avec ça de mobiliser l’opinion. Autant vous dire qu’on sait que ce n’est pas gagné d’avance. On ne se fait pas d’illusions, si on y arrive un jour ça sera dans plusieurs années. Ce n’est pas une raison pour laisser tomber…

Le niveau de connaissance de la situation est très faible, au niveau de la population générale.

Mais nous pensons que c’est la population générale qui arrivera à obtenir ce que nous souhaitons.

Je suis scandalisé par la situation actuelle et par l’inaction. Tout le monde a une bonne raison pour dire : « ce n’est pas moi c’est l’autre », « il n’y a pas d’argent », « est-ce que vos chiffres sont vrais ? », « montrez-nous que ça sert à quelque chose », etc. Alors que le niveau de preuve sur l’efficacité de la prise en charge est parfait.

Si nous sommes quelques fous furieux comme moi à essayer de bouger les lignes, rien ne changera. J’aimerais bien un peu faire progresser le sujet, pour les malades que je vois tous les jours. Ou pour le malade que je serai un jour. Ou pour mes parents.

Aujourd’hui, c’est un acte militant qui vient d’un médecin. Il faut que cet acte militant vienne de gens qui ne sont pas médecins.

Il ne faut pas avoir peur d’aller à l’hôpital.

On ira tous.

Si on pouvait y manger bien, ça sera pas plus mal !

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