Ethique de la longévité

l’éthique en Silver économie

Avez-vous déjà eu un cas de conscience dans votre quotidien ? Par exemple, vous êtes soignant dans un Ehpad, vous faites votre tournée matinale et vous avez seulement deux minutes à accorder à chaque résident. Mais ce matin, Madame X n’est pas dans son assiette et vous sentez qu’elle a besoin d’une oreille compatissante. Vous devez faire un choix difficile. Soit vous consacrez plus de temps à Madame X, mais les autres résidents seront pénalisés puisque vous ne pourrez pas leur accorder le temps « règlementaire ». Soit vous lui consacrez le temps réglementaire et pas plus, au risque qu’elle se sente encore plus mal. Il n’y a pas une bonne ou une mauvaise réponse. Vous devez peser le pour et le contre en votre âme et conscience et faire un choix.

Un choix éthique.

L’éthique, c’est ce qui vous aide à savoir comment agir au mieux.

Comment avoir un comportement juste.

Comment savoir ce qui est bien et ce qui est mal.

L’éthique est une discipline philosophique qui prend place entre la morale et le droit. C’est, selon Roger-Pol Droit, « la morale appliquée à un domaine qui bouge, qui avance ».

L’éthique permet d’élaborer des règles, de porter des jugements moraux. Elle nous donne les clés pour décider ce qui est bien et ce qui est mal.

Le sujet ne date pas d’hier, il a occupé des générations de philosophes. L’adjectif est employé à tort et à travers pour justifier la déontologie ou l’engagement, mais le sens profond de la discipline peut être résumé en quelques mots.

En l’espèce, je trouve que cette description faite par Roger-Pol Droit est très éclairante :

« Il s’agit toujours de savoir de quelle manière s’améliorer, de dire comment rendre le monde meilleur, de préciser selon quels critères juger les actes des êtres humains. Si les questions sont toujours les mêmes, les réponses sont très nombreuses, et différentes. »

Roger-Pol Droit
L’éthique expliquée à tout le monde.

Pourquoi réfléchir à l’éthique de l’aide aux seniors aujourd’hui ?

Parce que deux révolutions sont en cours et vont converger.

D’un côté, la révolution de la longévité. L’espérance de vie augmente, nous vivons plus vieux et nous faisons moins d’enfants. C’est un atout, un avantage, une merveilleuse nouvelle, à condition que la société sache s’adapter à cette nouvelle donne en créant les conditions d’une longévité heureuse. En outre, même si tous âgés ne deviennent pas dépendants, le grand âge amène son lot de vulnérabilités et de fragilités. Il convient donc de les préserver en veillant à ce que les produits et services que nous leurs offrons respectent leur volonté, leur dignité et leur humanité.

De l’autre, la révolution technologique. Des technologies nouvelles apparaissent chaque jour, elles sont censées nous rendre la vie plus douce et plus simple. Mais comment être sûrs qu’elles sont conçues à cet effet ? Comment aider les citoyens à faire des choix éclairés quand ils s’équipent avec ces technologies ? Comment aider les concepteurs de ces technologies à créer des systèmes moraux et bons ?

La technologie et le numérique sont essentiels à la longévité.

L’incursion d’internet et des outils qui permettent d’y accéder est un bienfait que je me dois de souligner.

Le numérique est un palliatif à certains méfaits de la sénescence qu’il était jusqu’alors impossible de compenser. Même si un ordinateur ou un téléphone portable ne remplaceront jamais les relations humaines et les interactions sociales complexes, certains réseaux sociaux, applications ou fonctionnalités, certains sites internet d’information, de communication et même des marketplaces sont de véritables « béquilles » pour accomplir des choses que l’on ne peut plus faire autant, ou aussi bien qu’auparavant.

On trouve au moins quatre bienfaits au numérique et à son usage appliqué à une population qui avance en âge :

  • Le renforcement du lien social,
  • L’accès facile à l’information et à la culture,
  • La possibilité de trouver des activités rémunérées via les plateformes d’économie collaborative,
  • L’accès facilité à une consommation pertinente pour vieillir bien.

Les technologies et le numérique sont essentiels.

  • Mais comment séparer le bon grain de l’ivraie ?
  • Comment éviter le harcèlement numérique ?
  • Comment s’assurer du consentement d’une personne âgée dans l’usage des technologies numériques ?

A toutes ces questions, il n’y a aujourd’hui pas de réponse unique. Il n’existe pas non plus de guide de conduite qui permettrait de faire un choix éclairé quand nous sommes confrontés à un cas de conscience.

C’est pourquoi la filière Silver Economie a souhaité amorcer une réflexion sur l’éthique dans les technologies au service des seniors.

La filière Silver Economie amorce une réflexion sur l’éthique

Cette réflexion doit aider les acteurs de la filière Silver Economie à faire les bons choix. C’est justement le rôle de la filière Silver Economie. Donner à ses parties prenantes les bonnes cartes pour adapter la société au vieillissement.

Cette réflexion s’inscrit aussi dans le cadre de la préparation de la future loi grand âge.

Cette réflexion doit nous aider à faire des choix éclairés, en étant conscients de leurs tenants et aboutissants.

Etat des lieux sur le rapport Ethique et Silver Economie

Le rapport éthique commandé par la filière Silver Economie a été rendu public fin octobre 2019.

Loin d’apporter une réponse définitive aux questions en suspens, il doit être pris pour ce qu’il est : la première étape d’une réflexion qui devra rester vivante et actuelle, en s’ajustant à l’évolution des technologies.

Car l’éthique n’est pas une discipline statique, c’est au contraire une grille de lecture qui s’adapte à son sujet.

« Il faut se souvenir que ces débats sont par définition sans fin, même s’ils doivent nécessairement faire l’objet de décisions majoritaires, de compromis, de protocoles définitifs ou seulement provisoires. »

Roger-Pol Droit
L’éthique expliquée à tout le monde.

Parcourons ensemble le rapport Ethique et Silver Economie pour en retirer la substantifique moelle.

Le rapport Gzil – Brugère en synthèse

Le rapport Silver Economie et éthique – dont le nom complet est : vieillissement et nouvelles technologies, enjeux éthiques et juridiques – a été réalisé par le philosophe Fabrice Gzil et l’avocate Solenne Brugère.

Réalisé en quatre mois, le rapport dresse un premier constat et fait 18 propositions organisées en trois parties :

  1. LE POURQUOI : Innover en restant ferme sur les principes fondamentaux,
  2. LE QUOI : Fédérer les acteurs de la filière autour de cinq grandes valeurs,
  3. LE COMMENT : Construire ensemble les comportements vertueux de demain.

Le rapport pose des bases solides et ça c’est bien

La première partie du rapport, le QUOI est remarquable. Précise, synthétique, logique. Elle rappelle des principes évidents et pourtant parfois oubliés :

  1. Le point de départ doit toujours être la personne, dans son environnement, dont la technologie fait partie.
  2. Les technologies peuvent soulager les aidants mais elles sont d’abord au service de la personne âgée.
  3. Les évolutions technologiques ne nécessitent pas de modifier les grands principes du droit français. Ils restent pertinents et adaptés pour encadrer les usages. Mais il faut toutefois ajuster certaines notions au contexte et à son évolution.
  4. Le numérique doit permettre de retourner le paradigme. En passant d’une logique de prise en charge des conséquences à une logique d’anticipation et d’évitement.

En synthèse : bon sens, écoute des besoins du client et respect de la personne âgée. Une personne âgée qui doit rester maîtresse du choix des technologies de soutien.

Le rapport propose des systèmes d’appui et de soutien à l’innovation responsable

La proposition principale du COMMENT est la création d’un centre de preuve. Cet organisme pluridisciplinaire et central doit analyser les innovations technologiques et valider leur utilité et leur conformité à l’éthique.

Le centre de preuve pourrait donner une forme de véto, matérialisée par un label, aux technologies reconnues d’intérêt pour les seniors.

Ce sujet suscite des réactions de la part des organismes régionaux (les gérontopôles notamment). Ils estiment que les organes de certification existent déjà à un niveau local. D’autres voix pensent que, en l’espèce, un petit peu de centralisme serait préférable pour gagner du temps mais aussi éviter qu’une technologie validée à Toulouse soit rejetée à Strasbourg !

Le COMMENT milite également pour l’intégration des seniors dans la construction des technologies qui leurs sont destinées. Dans une logique de lab ou de focus groupe. De telles structures se développent depuis plusieurs années dans l’écosystème, notamment : Medialis, I2ML, l’Open Lab de Silver Valley ou encore les lab privés des Senioriales et d’AG2R.

Le rapport n’est pas assez spécifique sur le plan des technologies

Le rapport a été réalisé à partir de tables rondes et d’entretiens. Il fait également la synthèse des résultats d’un questionnaire public adressé aux professionnels de la Silver économie qui a recueilli (seulement) 40 réponses.

Au niveau du panel d’interviewés, toutes les sensibilités de la Silver Economie sont représentées. Je trouve cependant que cela manque un peu d’experts ou d’entrepreneurs travaillant dans le développement des nouvelles technologies.

Des experts des technologies de demain pourraient apporter leur vision et leurs convictions à un débat qui les concerne au premier plan. Ils pourraient également donner plus de hauteur aux considérations relatives aux innovations qui doivent être suivies de près.

Leur absence se fait particulièrement sentir dans la troisième partie relative aux technologies à surveiller de près. Le rapport traite toujours LA TECHNOLOGIE mais n’entre jamais dans le détail. Il ne parle ni des points spécifiques de vigilance, ni des différentes technologies.

Les trois zones de vigilance éthique sur la technologie

Ce rapport qui traite d’éthique et de technologies ne fait pas de distinction entre toutes les technologies qui sont et seront développées et pourraient avoir une utilité pour notre longévité :

  • La domotique : techniques de gestion automatisées appliquées à l’habitat, allant du volet roulant électrique au thermostat intelligent,
  • La robotique domestique : les robots sociaux qui vont probablement entrer dans nos maisons dans quelques années,
  • La cobotique : les systèmes d’assistance et d’augmentation des capacités physiques comme les exosquelettes,
  • La neuro-ingénierie : l’augmentation des capacités physiques grâce à la stimulation cognitive,
  • Les véhicules autonomes,
  • L’intelligence artificielle,
  • Les objets connectés,
  • La collecte et l’exploitation des données ainsi que le droit d’accès et de suppression des données.

Ces différentes technologies vont entrer dans notre quotidien et elles n’auront pas toutes le même impact. Elles ne susciteront pas toutes le même niveau de questionnement éthique.

A n’en pas douter, la robotique domestique et la neuro-ingénierie susciteront plus de débats éthiques et de réflexions que les volets roulants électriques !

En outre, nombre de ces technologies ne seront pas développées spécifiquement pour les personnes âgées. Ni même conçues en France par des acteurs de la filière Silver Economie. Ces acteurs devraient êtres intégrés à une réflexion sur l’éthique afin de leur faire prendre conscience de ces enjeux du grand âge.

Un rapport pour qui ?

Le rapport Gzil – Brugère s’adresse d’abord et avant tout aux acteurs de la filière Silver Economie et au législateur.

Les acteurs sont invités à réfléchir sur le sujet. Ils peuvent y contribuer et réagir au rapport. Pour ce faire, ils sont invités à écrire un email aux auteurs avant le 31 décembre.

Le législateur est incité à prendre ces considérations en compte dans le cadre de la future loi Grand Age.

Un rapport pour moi ?

Mais, vous, au quotidien, à quoi peut vous servir ce rapport ?

A mon avis, il peut vous aider à amorcer une réflexion sur l’éthique dans vos relations avec les personnes âgées de votre entourage.

Le sujet est passionnant et sa prise en compte peut vous aider à résoudre des cas de conscience. Adopter une approche éthique, c’est aussi un moyen de prendre du recul par rapport aux situations auxquelles vous êtes régulièrement confronté, dans votre quotidien d’aidant.

La seule présence du visage de l’autre est, pour chacun de nous, une exigence et un appel.
Avant le souci de soi, que nous avons tous légitimement, l’éthique nous invite au souci des autres et nous appelle à être responsables envers eux.

Roger-Pol Droit
L’éthique expliquée à tout le monde

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1 réflexion sur “l’éthique en Silver économie”

  1. Jean Claude Pirioux

    Quid de l’éthique dans la communication adressée aux seniors ?
    Trop souvent, des acteurs préfèrent parler à la place des seniors plutôt que de leur laisser la parole.
    J’ai été surpris par le nombre de faux avis Google, de faux témoignages et de faux retours clients publiés par des acteurs de moins en moins scrupuleux.
    JC

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