la stratégie qui a fait pshitt

Le plan d’action qui fait Pschitt

En janvier 2020, l’ex ministre de la Santé Agnès Buzyn a présenté un plan stratégique de prévention de la perte d’autonomie. Cette communication poussive et mal ficelée a été complètement occultée par la crise covid. Le document est faible et ne restera pas dans les annales, mais nous y avions consacré un article, histoire de remettre les choses en perspective.

Article mis à jour le 30 décembre 2020

La prévention de la perte d’autonomie est l’enjeu majeur de notre siècle. Parce que nous vivons plus vieux, certes. Mais surtout parce que nous aspirons tous, quels que soient notre âge et notre condition sociale à choisir la manière dont nous vivons, dont nous évoluons et dont nous mourrons. Le futur est incertain. La convergence des transitions démographique, écologique et technologique annonce des changements de paradigme dont nous ne mesurons pas les effets sur notre vie quotidienne, notre avenir et celui des générations futures.

Comment vivre pleinement son autonomie ? Quelles dispositions prendre pour la conserver ? Et à quel âge faut-il commencer à s’en inquiéter ?

L’enjeu va bien au-delà de la question de l’adaptation de la société au vieillissement.

C’est pourtant sous l’ angle de la longévité que le sujet est aujourd’hui le mieux étudié. La crainte d’une vieillesse où la dépendance nous priverait de notre autonomie est un puissant levier pour inciter la société à changer.

Le contexte de la stratégie de prévention de la perte d’autonomie

L’État français s’est emparé du sujet en promettant à ses concitoyens une future loi Grand Âge et Autonomie. Initialement promise pour l’automne 2019, la crise de la réforme des retraites en a repoussé l’échéance au printemps 2020. La crise covid 19 reporte encore ce texte dont la portée devient de plus en plus symbolique. On espère qu’une loi sortira tout de même avant la fin du quinquennat d’Emmanuel Macron. Ce serait rendre justice aux très nombreux travaux préparatoires qui ont déjà été livrés et que nous avons analysé.

Le rapport Libault de mars 2019 a été détaillé dans les rapports de Myriam El Khomri (services à la personne), Audrey Dufeu (âgisme), Guedj (isolement), Piveteau Wolfrom (habitat inclusif).

Les professionnels du vieillissement comptent sur cette loi pour mieux formaliser le financement de la dépendance et en augmenter la prise en charge par la collectivité. Mais l’ambition du gouvernement semble aller bien au-delà et il promet aux Français une « Grande Loi », quoi que cela puisse bien vouloir dire.

Dans les couloirs de la Silver économie, les acteurs sont de plus en plus dubitatifs sur la portée réelle de ce futur texte. Cette loi que tout le monde attend avec impatience. Qui a fait l’objet d’une très médiatisée concertation nationale à l’automne 2018. Qui devrait venir compléter la loi d’adaptation de la société au vieillissement de 2015.

Le gouvernement a donc tout intérêt à communiquer sur des actions concrètes qui annoncent les travaux législatifs du printemps 2020.

Mais cette stratégie est aussi un bon moyen de sortir de la crise de la réforme des retraites.

L’année 2019 s’est terminée sur un camouflet autour des retraites, cristallisé par l’opposition des bénéficiaires de régimes spéciaux à y renoncer. Ainsi que par la démission houleuse du haut commissaire Jean-Paul Delevoye.

Le gouvernement a donc besoin de redorer son blason en communiquant sur des actions, des promesses, des points positifs.

Entre la retraite et la grande vieillesse, il n’y a que deux décennies… les sujets sont voisins, sinon connexes (même si personne ne semble vouloir faire cette connexion).

Voilà pour le contexte qui explique la publication de ce plan stratégique, en forme de préambule à la future Loi Grand Age.

Note aux lecteurs : Le dispositif est présenté simultanément comme le plan stratégique « vieillir en bonne santé » et le plan de prévention de la perte d’autonomie. J’emploie les deux noms dans mon analyse.

Les enjeux de la stratégie de prévention de la perte d’autonomie

Au regard de mon exposé du contexte, vous avez sans doute perçu les enjeux d’un tel plan de prévention. J’en vois trois :

  1. Créer une dynamique autour du sujet de la prévention de la perte d’autonomie. Cette question ne date pas d’hier. Beaucoup d’acteurs sont déjà engagés. L’État peut apporter une couche supplémentaire en matière de communication et de sensibilisation. A l’instar des actions préventives contre les effets du tabac, de l’alcool, de la conduite automobile ou de la sédentarité où l’implication de l’État contribue visiblement à améliorer la prise de conscience des citoyens et des comportements plus responsables.
  2. Gagner du temps en montrant que le gouvernement avance. Effort vertueux, mais qui ne trompe personne. Pour les professionnels, le problème central est le financement de la dépendance. Botté en touche par les rapports préliminaires (exclusion faite du rapport Libault), il n’est pas non plus évoqué dans le plan stratégique.
  3. Montrer que le sujet de la prévention de la perte d’autonomie n’est pas seulement une question de financement de la dépendance. Avec son plan stratégique, Agnès Buzyn met en oeuvre des mesures dont l’existence n’est liée ni au budget de la sécurité sociale ni à la loi Grand Age.

Les trois points clés de la stratégie de prévention de la perte d’autonomie

Le plan de prévention s’intéresse à trois sujets : la prévention à proprement parler, l’isolement et l’adaptation du cadre de vie.

La prévention

Le bon point du plan d’action c’est d’expliquer pour une fois que la prévention, ça commence tôt. Il ne faut pas attendre de souffler ses 70 bougies pour s’en préoccuper.

  • A 40 – 45 ans, ce n’est pas pour rien qu’on parle de crise de la quarantaine. La remise en question existentielle d’un quadra n’est que la conséquence d’évolutions métaboliques, de dosages hormonaux qui changent. Les maladies chroniques qui se déclenchent autour de 65 ans font leur nid dans les comportements que nous avons dans les deux décennies qui précèdent. Le plan propose donc la création d’un application smartphone qui accompagnera les quadragénaires dans une vie plus saine. Cette app pourrait ressembler à celle de Tabac Info Service qui aide les fumeurs à se sevrer.
  • Lors du départ en retraite : un moment critique où l’existence change radicalement. Les revenus baissent, l’activité également, il faut faire un point d’étape pour définir un nouveau projet de vie et ne pas sombrer dans la déprime, l’alcoolisme et la télévision à haute dose. Le plan propose donc de généraliser les actions déjà entreprises par l’Assurance Retraite et certaines caisses complémentaires Agirc – Arrco. Dans un premier temps, le dispositif s’adressera aux Français précaires et éloignés du système de santé.
  • À partir de 70 ans : C’est l’âge où l’on entre dans la « fragilité », le moment où un accident, une chute ou une hospitalisation peuvent enclencher le mécanisme de perte d’autonomie. Le plan veut donc détecter les fragilités et lancer des actions préventives. Il s’appuie pour cela sur le dispositif ICOPE de l’OMS. Pour le moment, ce programme est testé par le Professeur Vellas, au CHU de Toulouse.

C’est aussi à partir de 70 ans que les seniors peuvent bénéficier de l’aide de 5000 euros pour l’adaptation de la salle de bains. Financée par Action Logement et soutenue par le ministère du Logement, elle est mentionnée dans le plan, comme mesure connexe.

La lutte contre l’isolement

L’isolement, cause racine de la dépendance ? C’est la conviction partagée par nombre d’acteurs de la longévité. Vivre seul sans avoir des relations avec d’autres êtres humains peut accélérer le processus de perte d’autonomie. Le développement de technologies d’assistance et de compagnie ne suffit pas à combler l’absence de contacts.

Pourquoi ?

Parce que les interactions entre humains déclenchent des chaines d’émotions, de sensations et des réactions chimiques qui contribuent à notre bien être. A notre sentiment d’appartenance et d’utilité sociale.

En outre, vivre entouré c’est aussi limiter le risque de chute non relevée, d’hospitalisation évitable et donc… de perte d’autonomie.

La solitude est un fléau qui doit nous mobiliser parce que c’est un accélérateur de la perte d’autonomie

Agnès Buzyn
Présentation du plan « Vieillir en bonne santé » / 16 janvier 2020

Le plan suggère de s’appuyer sur des dispositifs existants, notamment MONALISA (acronyme de Mobilisation nationale contre l’isolement social des âgés, est un groupe de travail composé d’une trentaine d’associations et opérateurs publics et parapublics) et les visites quotidiennes du facteur.

Une autre piste évoquée : s’inspirer des bonnes idées glanées à travers le monde par le programme Oldyssey. Mais les modalités d’inspiration ne sont pas précisées.

Question : à qui ces suggestions et propositions s’adressent-elles ?

Le plan stratégique de prévention de la perte d’autonomie créée un label « Villes Amies des ainés » qui vient entériner l’appartenance au Réseau Francophone des Villes Amies Des Ainés (RFVADA), qui existe depuis des années.

Question : Qu’est-ce qu’un label apportera au dispositif ?

Le plan prévoit enfin une mobilisation des jeunes en service national universel (SNU) pour lutter contre l’isolement. Les modalités pratiques de cette action ne sont pas détaillées. Elles ne le sont pas non plus dans le rapport Dufeu sur l’âgisme qui évoque également le recours au SNU, pas plus que dans le rapport Libault qui y fait aussi référence.

Les actions en faveur de la lutte contre l’isolement sont louables, mais le plan n’explique pas comment agir et semble se contenter d’une liste de bonnes idées à l’attention de quiconque voudra bien s’en charger.

Adapter la société au vieillissement

La stratégie de prévention de la perte d’autonomie aborde le sujet de la société inclusive dans une troisième partie ambitieuse. Dans son discours, Agnès Buzyn présente les robots et les exosquelettes comme des solutions de soutien et de prévention sur lesquelles il faudra compter. Voila une proposition qui va à contre-courant d’une frange significative de la profession, extrêmement sceptique vis-à-vis de ces technologies (voir à ce propos le rapport Gzil-Brugère sur l’éthique dans la Silver économie).

Une personne considérée aujourd’hui comme dépendante pourrait parfaitement être autonome dans une société adaptée à ses besoins.

Agnès Buzyn
Présentation du plan « Vieillir en bonne santé » / 16 janvier 2020

Cette partie invite à un changement de paradigme, en s’appuyant notamment sur la création d’un centre de ressources à la CNSA. Cet organisme réunira des experts de la perte d’autonomie (médecins, ingénieurs, entrepreneurs, etc.) afin d’évaluer les innovations et d’aider les conférences des financeurs.

Le nom a changé, mais ce centre de ressources ressemble fortement au centre de preuve préconisé par la filière Silver économie et le rapport Libault :

18 mesures pour la longévité

Les 18 mesures du plan d’action « vieillir en bonne santé » sont disparates. On trouve pèle-mêle :

  • Des dispositions budgétées et opérationnelles comme le financement de l’adaptation de la salle de bains ou les mesures pour éviter les passages aux urgences pour les seniors.
  • Des propositions fermes et précises comme la création d’un centre de ressources, le développement d’une application pour la prévention à partir de 40 ans.
  • Des idées plus vagues, qui sentent un peu le remplissage et auxquelles il manque des dispositions pratiques, en particulier dans le programme de lutte contre l’isolement.

Les points faibles de la stratégie

Le plan d’action stratégique propose plusieurs idées neuves et aborde des sujets essentiels :

  • L’approche préventive dès le plus jeune âge,
  • L’adaptation de la société aux limitations des citoyens les plus fragiles.

Je lui trouve cependant deux défauts.

La stratégie confond dépendance et perte d’autonomie.

Or, la dépendance est une limitation des capacités physiques tandis que la perte d’autonomie (ou hétéronomie) est une restriction de la capacité à décider par soi-même ou à consentir. Ce n’est pas du tout la même chose et il est tout à fait possible à une personne dépendante de rester autonome.

Cette confusion se matérialise par des déclarations comme :

Une idée reçue voudrait que la dépendance soit un corollaire de la vieillesse. C’est faux. La perte d’autonomie n’est pas une fatalité.

Agnès Buzyn
Présentation du plan « vieillir en bonne santé » / 16 janvier 2020

La stratégie de prévention de la perte d’autonomie considère la dépendance comme une conséquence de la maladie

Or, la dépendance n’est pas uniquement une question de santé. On est dépendant de quelque chose. La maladie provoque une forme de dépendance. Par exemple, la dépendance aux médicaments, la dépendance à une aide physique ou technique.

Les gériatres nous le disent, la dépendance est toujours liée à une pathologie.

Agnès Buzyn
Présentation du plan « vieillir en bonne santé » / 16 janvier 2020

Propulsé par le ministère de la Santé, le rapport s’ancre dans un contexte médical. Il omet les autres formes de dépendance qui sont pourtant évoquées dans les propositions : dépendance aux transports, dépendance financière, dépendance à son lieu de vie.

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