Comment créer des habitats attractifs pour les seniors ?

Cet article présente une critique de la dernière publication de la revue « Gérontologie et Société », intitulée « Des espaces à vivre à l’aune du vieillissement ». Il s’intéresse à la question du lieu de vie des personnes âgées et de l’incidence du lieu sur les modes de vie de ces dernières. Trois des dossiers abordés dans la revue sont résumés et analysés. L’article souligne l’importance de prendre en compte l’entourage et l’environnement dans la conception d’habitats pour personnes âgées, ainsi que la participation des utilisateurs dans les projets de conception et de réhabilitation des structures.

Gérontologie et société s’intéresse à l’habitat senior

En août 2023, la revue Gérontologie et société a publié un dossier intitulé Des espaces à vivre à l’aune du vieillissement. Il s’intéresse à la question du lieu de vie des personnes âgées et de l’incidence du lieu sur les modes de vie de ces dernières. Quatre espaces de vie sont abordés par la dizaine d’études publiées :

  • Les grands ensembles (social et non social)
  • Les EHPAD
  • Les colocations pour seniors

Mes axes d’analyse

Je vous propose un résumé critique des trois dossiers qui m’ont le plus intéressé dans cet opus, cette préférence ne s’expliquant pas par la qualité des publications (et notamment celles que je ne vous présente pas aujourd’hui), mais par la convergence entre ces réflexions et les miennes.

Je tiens à remercier tous les auteurs ayant contribué à cette publication pour la qualité de leur travail, la pertinence de leur point de vue et la fraîcheur de leurs réflexions.

Si vous pensiez que la Silver économie tourne en rond et peine à se réinventer, je vous recommande chaudement la lecture de cet opus et de tous les autres numéros de Gérontologie et Société (vous pouvez les consulter en ligne sur la plateforme Cairn)

Les grands ensembles, supports au vieillissement ?

Ce dossier explore comment un habitat non conçu pour le vieillissement peut le soutenir.

Dossier réalisé par Audrey Courbebaisse, chercheuse dans la cellule de recherche Uses and Spaces à l’Université catholique de Louvain

Structure analysée dans le dossier

Les « grands ensembles » sont des projets immobiliers construits dans les années 1950 à 1970 pour répondre aux besoins de logements à grande échelle. Ils se composent généralement de grands bâtiments résidentiels, souvent en béton, qui abritent des centaines d’appartements.

Ces bâtiments ont été construits pour aider les jeunes ménages à accéder à la propriété. Cependant, ces habitats n’ont pas été spécialement conçus pour les personnes âgées et sont touchés par le vieillissement de leurs habitants.

Certains résidents n’ont jamais quitté leur logement depuis plusieurs décennies.

Finalité du dossier

Ce dossier étudie le rôle des grands ensembles dans le vieillissement à domicile de leurs résidents, en se basant sur le vécu et la parole de personnes âgées de 65 à 98 ans vivant dans cinq copropriétés à Toulouse et à Bruxelles. L’étude identifie les facteurs de stabilité pour les aînés en analysant la forme et le rôle social des immeubles dans le vieillissement à domicile.

Et c’est tout son intérêt. En effet, à l’heure où nous militons collectivement pour répondre au désir exprimé par une majorité de citoyens de vieillir chez eux, il me semble intéressant de constater que les facteurs clés d’un vieillissement réussi à domicile tiennent pour partie sur l’entourage, l’environnement et l’attachement des gens aux lieux où ils habitent.

Rôle du collectif et du lieu de vie dans le vieillissement

Cela signifie qu’ils seront plus épanouis dans un logement mal adapté situé dans un environnement qu’ils aiment plutôt que dans un logement parfaitement adapté situé dans un environnement qui leur déplaît.

Le dossier de Mme Courbebaisse montre comment les vieux habitants des 5 grands ensembles analysés se sont approprié le lieu et l’ont adapté, dans l’usage, la création de collectifs et l’organisation. Déplorant une certaine passivité de la part des gestionnaires, le dossier montre comment les personnes âgées vont contourner ce handicap ou s’y adapter.

Lire aussi : Vivre ensemble pour bien vieillir, interview de Bernard Jouandin

Conclusion : même sans prise en compte de la question d’adaptation du lieu par ses gérants, il est possible – en s’appuyant sur les résidents historiques et volontaristes – de créer des organisations qui facilitent la vie des seniors et leur bien-être dans le lieu où ils ont envie de vivre.

Et donc, si l’on pousse un peu la réflexion, des gestionnaires de grands ensembles ont tout intérêt à s’appuyer sur les structures formelles ou informelles existantes pour que leurs projets d’adaptation des logements au vieillissement soient vraiment utiles.

L’enjeu serait de savoir quelle est la limite géographique à ce sentiment d’appartenance. S’il serait possible de construire un collectif “senior friendly” à l’échelle d’une commune ou d’un quartier en partant des structures existantes au niveau d’un grand ensemble.

Passionnante réflexion, tout comme le dossier qui me l’inspire et dont je vous recommande chaudement la lecture.

Quelques verbatim intéressants

« Ainsi, la conscience d’une identité de village, la possibilité de s’impliquer dans le collectif et de s’approprier son logement, la présence d’équipements, de services, la proximité des commerces et des transports, la sensation d’un chez-soi étendu grâce aux espaces intermédiaires, contribuent à soutenir l’autonomie et participent d’un double attachement, symbolique et physique, des résidents à leur habitat. »

« l’exemple du grand ensemble nous montre ainsi qu’une forme d’habitat, a priori hostile, ou non dédiée au vieillissement dans sa conception, peut, sous certaines conditions, être inclusive pour les personnes âgées. Ceci met en évidence l’enjeu qu’il y a à prendre soin des supports existants, voire à les renforcer. »

« Or, à ce jour, nous ne pouvons que constater la faible prise en compte du vieillissement par les gestionnaires et les organes de gouvernance des copropriétés. Dans les cinq grands ensembles étudiés, l’adaptation au vieillissement se fait de manière quasi invisible et partielle, via les associations de quartier ou par des travaux de mise en accessibilité des espaces communs. Elle se heurte notamment au manque de reconnaissance d’une architecture souvent dépréciée par les syndics de copropriété, les quelques bailleurs sociaux encore propriétaires de logements, et à la complexité de la gouvernance imposant par exemple la règle du quorum en cas de vote de travaux. Ce contexte particulier de la copropriété tend aussi à invisibiliser les personnes âgées qui ne sont pas toutes présentes dans les assemblées générales ou impliquées dans les conseils syndicaux. »

« Notre étude montre également, à partir de l’observation des usages, l’importance des détournements d’aménagements existants et des stratégies d’adaptation personnelles permettant aux personnes âgées de demeurer dans leur logement. Ces usages mettent aussi en lumière les ressources d’ingéniosité pratique et de créativité des personnes âgées qui restent, dès lors et contre certains préjugés, actives par rapport à leur habitat. »

« Ainsi, même si nous pouvons dire que le grand ensemble participe à l’inclusion sociale et spatiale de ses résidents âgés, la question des usages et des stratégies d’adaptation personnelles reste primordiale dans cette inclusion. Or cette question demeure un impensé du débat sur l’habitat inclusif, opposant vision universaliste et vision technico-administrative (Charlot, 2019) qui s’appuient uniquement sur la morphologie spatiale des habitats et visent la transformation des conditions de vie des personnes âgées. Ces modifications génériques se font, a priori, sans prendre en compte les usages, les besoins singuliers et des stratégies d’adaptation personnelles qui pourraient être une source d’inspiration intéressante. »

L’architecture des EHPAD et son influence sur le bien-être des résidents

« Cette étude montre que les résidents des Ehpad éprouvent plus de bien-être lorsqu’ils estiment évoluer dans un lieu de vie plutôt qu’un lieu de soin et qu’ils sont plus demandeurs de modifications architecturales lorsqu’ils vivent dans un Ehpad considéré comme un lieu de soin. »

Dossier réalisé par Perrine Nedelec, Dominique Somme et Kevin Charras à partir d’une étude organisée d’avril à août 2021, dans 17 Ehpad bretons, grâce à une enquête quantitative par questionnaire, menée auprès de trois groupes (résidents, entourage, professionnels).

L’analyse met en lumière les attentes des résidents selon qu’ils considèrent l’Ehpad comme un lieu de soin ou de vie. Elle montre quels sont les critères objectifs selon lesquels un résident va apprécier un espace. Le texte est bien présenté, enrichi de nombreux exemples et citations qui aident le lecteur averti à comprendre les tenants et aboutissants.

Lire aussi : Comment les architectes pensent l’Ehpad du futur

Finalité de l’étude

Certains auteurs suggèrent que les maisons de retraite, en tant que lieux de vie avant tout, nécessitent une révision de leur conception en les considérant dans la perspective de la « vie à domicile ». C’est la recommandation faite par Kevin Charras et Fany Cérèse dans une analyse parue en 2017.

Ces deux experts de l’aménagement en EHPAD sont convaincus qu’il faut permettre aux résidents d’avoir un véritable « chez-soi » où ils peuvent exprimer leurs attentes, faire des choix de vie et exprimer leurs préférences. Ces idées sont également au cœur des réflexions du groupe de réflexion Matières Grises sur « l’avenir des maisons de retraite », qui propose un changement de modèle (Broussy, Guedj et Kuhn-Lafont, 2021).

Une approche centrée sur le quotidien a déjà montré son utilité dans les pôles d’activités et de soins adaptés (Dupré-Lévêque et Charras, 2019). Il est donc plausible que de telles adaptations aient un impact positif sur l’ensemble des personnes âgées.

C’est en partant de ce constat que les auteurs du présent dossier ont construit un questionnaire adressé à une vingtaine d’EHPAD bretons afin d’identifier, sur le terrain, la perception que les résidents, les intervenants et les familles ont de leur EHPAD.

Le rapport analyse les critères, les attentes et les percpetions de deux groupes, ceux qui considèrent plutôt leur résidence comme un lieu de vie et ceux qui la considèrent comme un lieu de soin.

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