La cohabitation intergénérationnelle solidaire a-t-elle un avenir ?

À l’approche de la rentrée universitaire, de nombreux étudiants se retrouvent confrontés à la difficulté de trouver un logement abordable et adapté à leurs besoins. Dans ce contexte, la cohabitation intergénérationnelle est souvent présentée comme une solution intéressante pour répondre aux besoins des étudiants tout en favorisant le lien social entre les générations. Cependant, malgré 19 ans d’existence en France, ce concept peine encore à décoller. Dans cet article, nous allons explorer les raisons de ce faible succès et proposer des pistes pour imaginer des systèmes dans lesquels la cohabitation intergénérationnelle pourrait devenir une véritable alternative pour les étudiants et les seniors.

Elle existe depuis 19 ans

En effet, cela fait déjà 19 ans que les premières associations (le Pari Solidaire et Ensemble 2 Générations) ont importé en France ce concept espagnol. Si leur pérennité atteste de leur pertinence, le nombre réel de binômes est tellement dérisoire qu’on ne peut pas parler d’alternative.

Réfléchissons ensemble à la question.

D’abord, nous allons essayer de comprendre pourquoi la cohabitation intergénérationnelle dans sa formule actuelle ne prend pas.

Ensuite, nous allons imaginer des systèmes dans lesquels la cohabitation intergénérationnelle pourrait fonctionner et rendre un service aux jeunes, aux seniors et à leurs parties prenantes.

Avant d’entrer dans le vif du sujet, je dois vous apporter une précision sur ce que j’entends par “fonctionner”.

Qu’est-ce que j’entends par fonctionner

« Fonctionner » signifie que le modèle économique est viable et rentable, permettant à l’entreprise d’être financièrement autonome et de se développer de manière durable.

Cela implique que les revenus générés par l’entreprise doivent être suffisants pour couvrir les coûts d’exploitation et permettre la croissance de l’entreprise.

En somme, une entreprise qui fonctionne est une entreprise qui est capable de se maintenir sur le long terme.

PS : c’est aussi valable pour une association, mais celle-ci dispose d’avantages qui lui permettent de ne pas être aussi tributaire du chiffre d’affaires qu’une entreprise : les bénévoles, les subventions. En outre, l’exonération de TVA permet à l’association de pratiquer des prix inférieurs.

Lire aussi : Etude du marché de la cohabitation intergénérationnelle solidaire

Les fondements de la cohabitation intergénérationnelle solidaire

« La cohabitation intergénérationnelle solidaire permet à des personnes de soixante ans et plus de louer ou de sous-louer à des personnes de moins de trente ans une partie du logement dont elles sont propriétaires ou locataires dans le respect des conditions fixées par le contrat de cohabitation intergénérationnelle solidaire prévu à l’article L. 631-17 du code de la construction et de l’habitation, afin de renforcer le lien social et de faciliter l’accès à un logement pour les personnes de moins de trente ans. » – Loi ELAN Art. L. 118-1.

Les modalités légales de la cohabitation intergénérationnelle solidaire

La cohabitation intergénérationnelle solidaire n’est pas une prestation de service délivrée par un professionnel à un consommateur. C’est une convention de droit privé signée entre deux particuliers. Un bail aménagé assorti de modalités d’exécutions spécifiques.

Comment cela se passe, en droit ?

L’occupant âgé (60 ans et plus) d’un logement qui dispose d’une chambre libre est disposé à accueillir un étudiant. Il rencontre la personne ad hoc, avec qui il s’entend. Ce dernier est un jeune âgé de moins de 30 ans – souvent étudiant – qui recherche un logement bon marché. Il est disposé à cohabiter et rendre service à une personne âgée, son hôte.

Les deux parties formalisent leur consentement mutuel en cosignant un contrat de cohabitation intergénérationnelle solidaire.

La loi n’oblige pas les parties à se faire accompagner par un professionnel. Deux personnes peuvent librement y consentir, à condition de se croiser.

À quoi un intermédiaire peut-il bien servir ?

Le rôle de l’intermédiaire

L’intermédiaire peut faciliter la rencontre entre les parties, sécuriser les transactions et prendre en charge le volet administratif (suivi des règlements, état des lieux, gestion de la fin de contrat, gestion des conflits). Il doit proposer un bouquet de services qui justifie la facturation d’honoraires ou d’un abonnement.

Il peut donc jouer les rôles assignés à l’agent immobilier et au gérant dans les prestations de gestion locative.

L’agent immobilier qui facilite la rencontre entre les parties se fait payer en pourcentage de la transaction prélevée pour moitié auprès de chaque partie (en général, 1 à 2 mois de loyer).

Le gérant qui assure le suivi administratif et financier se fait payer en honoraires auprès du bailleur.

L’écueil à ces business models

Les business models d’agent immobilier et de gérant ne peuvent fonctionner que pour de gros volumes d’affaire ou la location de biens prestigieux, avec des loyers élevés.

Or, la cohabitation intergénérationnelle et solidaire ne réunit aucune de ces deux conditions.

Lire aussi : La cohabitation intergénérationnelle solidaire de A à Z

Contrepartie financière de la cohabitation intergénérationnelle

En termes financiers, le législateur n’a plafonné la “contrepartie financière modeste”, cependant elle doit être calculée au prorata de la surface louée et en tenant compte des prestations en nature réalisées par le jeune cohabitant.

Dans le parc privé (ou diffus), la loi n’impose aucune règle de calcul. En revanche, si l’occupant principal est locataire d’un logement social, la contribution financière doit être calculée au prorata de la surface occupée par le jeune (art L442-8-1 code de la construction et de l’habitation).

Par exemple, si le loyer s’élève à 100 euros pour une surface de 100 mètres carrés. Le jeune qui occupe une chambre de 10 mètres carrés doit payer une contribution financière modeste de 10 euros au maximum.

En outre, pour être exonéré d’impôt, la contribution doit rester en deçà de seuils définis par l’administration fiscale. Pour 2020, le loyer hors charges annuelles par mètre carré de surface habitable ne devait pas dépasser : 190 € annuels par mètre carré en Île-de-France et 140 € dans les autres régions.

Donc, pour une chambre de 15 m2, compter un “loyer” max de 2890 € annuels en région parisienne et 2100 € partout ailleurs.

Et donc, prélever un pourcentage ou réclamer un mois de loyer comme paiement d’une prestation revient à récolter des queues de cerise, bien en deçà de la valeur réelle de la prestation.

Cela peut être rentable à certaines conditions :

  1. Une prestation relativement automatisée avec un niveau d’intervention humain résiduel
  2. Un volume d’affaire conséquent
  3. Des coûts d’exploitation réduits
  4. Un bon réseau de prescripteurs pour capter les affaires avant la concurrence
  5. Une réputation en or massif et un marketing à l’avenant pour être identifié comme le Stephane Plaza de la cohabitation intergénérationnelle

Le problème, c’est que contrairement à la location classique qui peut nourrir son agent immobilier avec une telle stratégie, le volume d’affaire en cohabitation intergénérationnelle est incroyablement bas.

Voyez plutôt

Les chiffres de la cohabitation intergénérationnelle solidaire

Depuis 2004, la cohabitation intergénérationnelle séduit sur le papier, mais les associations ne parviennent pas à créer un nombre significatif de binômes.

J’ai cherché à reconstituer le volume d’affaire annuel à partir des données publiées par les différents acteurs :

  • L’association Ensemble2générations revendique 5000 binômes créés en 15 ans, soit 333 par an.
  • Cohabilis déclare que ses 40 structures ont aidé 30 000 personnes depuis 2004. Cela correspond à 15 000 binômes. Le chiffre datant de 2021, on part donc sur 15 000 sur 17 ans, soit 882 par an.
  • Dernière née du marché, la start-up Colette annonce un résultat de 750 binômes pour l’année en cours et 1900 binômes en 3 ans.
  • Emboîtant le pas à Colette, ou les précédant de quelques mois, d’autres structures commerciales ont saisi l’opportunité offerte par la loi ELAN pour se lancer. Elles ne communiquent pas leurs chiffres. Offrons-leur le bénéfice du doute en estimant à 250, le nombre de transactions annuellement réalisées.

Donc, si je fais l’addition de tous ces résultats, j’obtiens un volume moyen de transactions annuelles tournant autour de 333 + 882 + 750 + 250 = 2 215 contrats.

En synthèse : ça ne pèse pas lourd

Que vous vous rémunériez au prorata de la participation financière modeste en faisant payer à vos clients l’équivalent d’un ou deux mois ou en honoraires fixes, vous n’allez pas décrocher la timbale.

Pas besoin d’être un dieu de la finance pour deviner que ces volumes d’affaire sont terriblement insuffisants pour assurer la pérennité des structures d’accompagnement.

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