rapport el khomri

Les 3 points clés du rapport El Khomri sur les métiers du grand âge

Le rapport El Khomri est un travail préparatoire à la loi Grand Age réalisé par l’ex ministre du travail, Myriam El Khomri. Ce focus approfondit certaines préconisations du rapport Libault. Le rapport s’attaque à l’un des sujets clé du bien vieillir à domicile : les aidants professionnels.

A partir de 150 entretiens réalisés avec les représentants de l’ensemble des sensibilités professionnelles du secteur de l’aide humaine aux âgés, le rapport El Khomri fait une quinzaine de préconisations.

Balayant diverses pistes d’amélioration, que je vais vous présenter, ce document pour ambition de rendre les métiers d’Aide Soignante et d’Auxiliaire de Vie (ou Accompagnant Educatif et Social) plus attractifs.

L’enjeu du rapport El Khomri

Le secteur de l’aide à domicile est aujourd’hui balayé par une crise profonde que l’on peut résumer en trois points :

  1. La demande, déjà forte du fait du vieillissement de la population, va continuer à croitre dans les années qui viennent.
  2. Mais les services d’aide à domicile ne trouvent pas de personnel pour répondre aux besoins de leurs clients.
  3. En effet, les conditions de travail difficile et le faible salaire n’attirent plus les candidats.

Le contexte du rapport El Khomri

Dans son rapport, Myriam El Khomri souligne à plusieurs occasions l’extrême complexité du secteur de l’aide à domicile pour les personnes âgées.

Historiquement prise en charge par le secteur associatif, l’activité est ouverte au secteur privé commercial depuis une quinzaine d’années.

Plusieurs formes de structures proposent leurs services. Il y a sept conventions collectives applicables, quatre types de tarification (prestataire, mandataire, particulier employeur avec ou sans CESU) et des enjeux différents selon les territoires.

C’est pourquoi, avant d’analyser les trois points clé du rapport, j’aimerais vous dresser un petit tableau de la situation actuelle des service d’aide à domicile. Tous sont confrontés au problème de recrutement de nouvelles auxiliaires de vie mais les causes et les conséquences varient selon leur localisation, leur forme juridique et la population qu’ils prennent en charge.

Services des villes vs Services des campagnes

  • La zone de chalandise est plus concentrée en ville : à périmètre équivalent, il y a potentiellement plus de clients en zone urbaine qu’en zone rurale.
  • Il y a également plus de candidats habitant à proximité pour travailler dans les services d’aide à domicile…mais aussi plus de turnover.
  • Les auxiliaires de vie intervenant chaque jour chez plusieurs clients, la concentration de ces derniers dans une zone géographique restreinte écourte les temps de transit.
  • En ville, Il y a plus de concurrence entre les enseignes. Les zones urbaines (et péri-urbaines) sont celles où les services privés commerciaux sont les plus nombreux. Ils le sont souvent par choix, car ces zones offrent plus d’opportunités business pour des coûts de fonctionnement plus faibles qu’en zone rurale. Ils le sont également par contrainte, les autorités médico-sociales étant plus réticentes à accorder une autorisation d’activité aux enseignes commerciales dans les zones rurales qui restent, de fait, l’apanage (ou la chasse gardée ?) du secteur associatif.

Service universel vs service pour ceux qui peuvent se le payer

Le service s’adresse-t-il à tous ceux qui en ont besoin ou bien seulement à ceux qui peuvent / veulent le payer ?

Historiquement social le service de l’aide aux personnes âgées se veut universel. Les prix sont établis en fonction des tarifs APA fixés par les conseils départementaux. L’activité est donc fortement dépendante des deniers publics.

C’est pourquoi les acteurs font de l’augmentation du tarif APA, la condition sine qua non de l’amélioration de l’attractivité du secteur. En effet, les acteurs ne pourront augmenter les salaires des intervenants qu’à condition que le prix horaire augmente. Or le prix horaire est corrélé au tarif APA. Donc le tarif APA doit augmenter (CQFD).

Certaines enseignes, notamment commerciales et notamment en ville, choisissent délibérément de cibler une clientèle hors APA pour éviter d’être contraints par la limite de la prise en charge. Mais ce n’est pas une généralité.

Associatif vs Privé Commercial

La forme juridique des services d’aide aux senior détermine leur mindset.

Il est en l’espèce très hasardeux de faire des généralités, l’excellence n’est pas liée à la forme juridique mais bien souvent aux qualités humaines des professionnels travaillant au sein d’une structure.

Il y a d’excellents services d’aide à domicile dans l’associatif et le privé commercial. Il y en a également de très mauvais dans l’associatif et le privé commercial.

Historiquement, le secteur associatif maille fortement les zones rurales et à ce jour, certaines autorités départementales rechignent à octroyer des autorisations d’activité à des structures commerciales dans les zones rurales ou péri-urbaines.

Pourquoi ?

  • Sans doutes parce que, de par sa nature désintéressée, le secteur associatif est plus à même de prendre en charge des territoires non rentables.
  • Mais aussi parce que les fédérations associatives étant plus puissantes et plus ancrées dans ces zones, elles ont l’influence nécessaires pour conserver le leadership et de confortables monopoles.
  • Et plus généralement, même si ce n’est pas systématique, parce que certains acteurs publics locaux se méfient des services commerciaux « qui font de l’argent sur le dos des vieux ».

Bien sûr, certains services privés commerciaux ont décidé de ne pas s’implanter en zone rurale et péri-urbaine. Mais ce n’est pas une généralité et quelques exemples d’implantations réussies montrent que le privé commercial a une carte à jouer dans les zones rurales et péri-urbaines, peut y apporter un service plus qualitatif et attirer des publics qui ne faisaient pas appel aux services associatifs pré-existants.

Point clé n°1 : Améliorer la professionnalisation du secteur

Concrètement, le rapport veut dépoussiérer les points d’entrée dans le métier et notamment les formations.

Pour cela, l’ancienne ministre du Travail propose de supprimer le concours d’entrée pour les aides soignantes, de développer les point d’entrée alternatifs, via la VAE (Validation des Acquis et de l’Expérience), l’apprentissage, la création d’un cursus d’entrée proposé sur ParcourSup et l’alternance.

La valorisation de ces métiers passe aussi par l’élargissement des opportunités de progression, spécialisation, notamment en gérontologie.

Les points positifs

Attaquer le sujet par la formation initiale permet de professionnaliser le métier. C’est également un bon moyen d’en donner une image plus positive à des candidats qui n’en voient aujourd’hui que les aspects les plus sombres.

Donner aux auxiliaires de vie en poste des opportunités d’évolution est également un point positif. Dommage que les pistes se concentrent uniquement sur la gérontologie et pas sur les autres besoins des seniors et de leurs aidants.

Les axes de progrès

Il y a des activités qui ne sont aujourd’hui pas prises en charge par les auxiliaires de vie, faute de temps, de compétences et de formation. Elargir leur périmètre d’intervention à ces activités pourrait améliorer la perception du métier et la qualité du service rendu. Par exemple :

  • Une vraie assistance administrative,
  • Un accompagnement à l’inclusion numérique,
  • La coordination des intervenants.

Sur le volet inclusion numérique, une expérimentation menée en Isère par la CNSA, le Tasda et trois SAAD a montré qu’il y a un vraie appétence des intervenants à élargir leur périmètre d’intervention à condition d’être formées et accompagnées sur le sujet. Le rapport d’étude est consultable ici.

Point clé n°2 : Améliorer les conditions de travail

Le rapport El Khomri veut améliorer les conditions de travail des intervenants. Cela passe par une revalorisation de leur salaire, la prévention et le suivi des accidents du travail, la mise à disposition de véhicules professionnels ou encore l’adoption du modèle Buurtzorg pour organiser le travail sur le terrain.

Les points positifs

Corollaire à la reconnaissance professionnelle via les diplômes et la formation continue, l’amélioration des conditions de travail doit aider les professionnels en activité et les nouveaux entrants.

Les axes de progrès

C’est une bonne chose de faire le constat mais à mon avis, le rapport ne va pas assez loin dans la recherche des causes des accidents du travail. Plus précisément, le rapport ne mentionne pas la nécessaire adaptation du domicile, lieu de vie du client et lieu de travail de l’intervenant.

En outre, le rapport omet l’essentiel : le salaire. On peut vouloir améliorer les conditions de travail des intervenants, sans action forte en faveur d’une amélioration notable de la rémunération, ces voeux pieux et aménagements de toilettage ne viendront pas changer la donne.

Tant que le salaire ne sera pas plus attractif, le métier ne sera pas plus attractif. Ce n’est pas une question de vocation comme on l’entend parfois, c’est juste une question de bon sens.

Point clé n°3 : Améliorer l’image de la profession

Et pour s’y attaquer, il préconise l’organisation d’une grande campagne nationale de communication, chiffrée à 4 millions d’euros et calquée sur les campagnes lancées depuis plusieurs années par le ministère de la Défense pour inciter les jeunes Français à s’engager sous les drapeaux.

Point positif

C’est une bonne chose de vouloir communiquer mais je doute de la portée réelle à court terme de ce type d’action. Les leviers d’action sont déjà identifiés et il me semble qu’en matière de communication, les mieux placés pour agir sont les professionnels de terrain.

Axe de progrès

Laissez faire les professionnels de terrain. Il y a de meilleures manières d’employer les 4 millions d’euros dévolus à cette campagne de communication !

En synthèse, le rapport El Khomri pose de bonnes questions

Et il y apporte pas mal de bonnes réponses sur les champs sur lesquels une action du législateur pourrait être utile. En revanche, il omet le principal : l’augmentation des salaires des intervenants et comment la financer (qui doit payer ?). En outre, il tombe dans les travers classiques des rapports publics consistant à créer des commissions, des comités et abuser du conditionnel.

Conditionnel ?

Il y a à mon goût un peu trop de formules conditionnelles sur des points essentiels, mais surtout, le rapport qui se concentre exclusivement sur l’évolution du métier d’aide humaine aux personnes âgées ne semble pas avoir pris la mesure de l’ensemble de l’écosystème du grand âge ni des progrès futurs qui pourraient faire bouger les lignes.

Cependant, quelles que soient les avancées futures, notamment en termes d’adaptation du domicile, l’aide humaine sera toujours nécessaire. Si les fonction des aidants professionnels doivent évoluer à l’avenir, il sera toujours préférable de disposer d’une personnel à faire évoluer que de devoir inventer de nouveaux métiers ex nihilo.

Attendons à présent de voir comment la future loi Grand Age va intégrer ces recommandations.

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6 réflexions sur “Les 3 points clés du rapport El Khomri sur les métiers du grand âge”

  1. Philippe-André Ferré

    Merci pour cette lecture et cette analyse su rapport El Khomri. Un regret, à nouveau, de l’utilisation de certains termes anglais…
    « La forme juridique des services d’aide aux senior détermine leur mindset. » (Etat d’esprit, c’est trop compliqué? ;o) )

  2. Je suis en projet de construire des maisons partagées en milieu rural.
    J’hésite toujours sur le type d’exploitation soit associatif soit commercial.
    Je trouve aux 2 systèmes des avantages et des inconvénients

    1. Alexandre Faure

      Merci pour ce commentaire, Monsieur Riahi. Avez-vous songé à adopter une forme commerciale pour le volet investissement immobilier / construction + associatif pour le volet gestion de l’habitat une fois livré. C’est le format choisi par des organismes comme Vivre en Béguinage et Le Club des Six.

  3. Bonjour
    Dire qu’il est « confortable »au monde associatif de demeurer implanté en zone rurale constitue, au mieux, un contresens.
    Les associations sont pratiquement les seuls à y aller parce que, comme vous le dites, ces zones ne sont pas rentables et que les associations ne recherchent pas le profit.
    C’est un élément qui pêche dans la grande richesse de vos réflexions sur la silver-économie.
    Il y a toute une partie du territoire et de la population qui ont et auront des besoins, sans pouvoir se payer les prestations d’acteurs privés lucratifs.
    Les associations ne sont pas seulement historiques, elles sont implantées dans tous les territoires et portent de réelles innovations, elles aussi. Mais à la différences des acteurs privés lucratifs, leur préoccupation n’est pas la rémunération de l’actionnaire.
    Je partage votre point de vue : il y a des personnes qualifiées partout, du respect des clients/bénéficiaires partout, dans le privé et l’associatif.
    Mais seul l’associatif va partout, auprès de tout le monde.
    Ce qui explique pourquoi, à moins de changer complètement de modèle, il demeure indispensable de prendre en considération les charges d’intérêt général qui ne sont pas également partagées.
    Merci pour vos écrits.

    1. Alexandre Faure

      Bonjour Monsieur Weber, je vous remercie pour votre commentaire argumenté. Vous avez raison, je manque parfois d’objectivité sur la place et le rôle du monde associatif et de l’ESS dans l’économie de la longévité. Pourtant je suis persuadé que l’adaptation de la société au vieillissement repose sur une action conjointe d’acteurs complémentaires. Il faut que cette conviction ressorte plus dans mes contenus, car je ne veux pas jouer le jeu des oppositions stériles. Je vais m’y employer.

  4. Merci de votre réponse
    Sur la complémentarité des approches et des acteurs, je partage tout à fait votre point de vue.
    Idem sur les oppositions stériles de modèle sur les thèmes binaires gentils asso/vilains capitalistes ou antiques asso/modernes entreprises !
    Le monde est, heureusement, plus complexe.
    Au plaisir (chaque dimanche) de vous lire.
    D’ailleurs oui, pourquoi une newslettre le dimanche ?

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