Anne Labit : L’habitat participatif n’est pas une mode

Anne Labit : l'habitat participatif n'est pas une mode

La sociologue Anne Labit est une experte de l’habitat participatif. Elle répond aux questions de Sweet Home à propos du développement de ce mode de vie collective qui attire un nombre croissant de seniors désirant rester autonome, mais sans souffrir de solitude.

Cette interview a été réalisée en octobre 2020 dans le cadre d’un projet de livre blanc pour Ages&Vie

L’habitat participatif, est-ce une mode  ?

Anne Labit : L’habitat participatif n’est pas une mode, bien au contraire. L’idée que les habitants puissent s’approprier la conception, la gestion de leur habitat dans une démarche collective, c’est une ambition qui existe depuis bien longtemps. 

En France, nous connaissons un renouveau depuis les années 2000. Cet engouement est bien naturel et logique puisque l’habitat participatif répond à des enjeux écologiques et sociaux importants. C’est être acteur de la conception d’un logement plus adapté à ses besoins. Le faire dans une démarche collective, contribue à retrouver du lien de voisinage. 

C’est tout à fait concret et nous sommes bien loin de l’effet de mode. La preuve, il y a de plus en plus de projets, de gens engagés, de partenaires et élus locaux qui s’y mettent. Je ne dis pas qu’il n’y a pas de difficultés, mais c’est un concept sérieux. 

Profil des habitants en habitat participatif

Alexandre Faure : Avez-vous identifié des traits récurrents parmi les personnes qui s’engagent dans ce type de projet ? 

Anne Labit : Oui, l’un des écueils est là. Ce sont des projets compliqués, car ils concernent un domaine qui a été retiré des mains des citoyens depuis de nombreuses années. Donc c’est ardu de se lancer dans ce type de démarches, d’oser. Les personnes qui entreprennent dans la voie de l’habitat participatif ont des capitaux socioculturels importants. Ces citoyens croient à la possibilité d’une alternative, de s’approprier les choses, de s’occuper des affaires dont on les a exclus. Par ailleurs, il faut des capitaux économiques. Cependant, l’idée est en train de se démocratiser grâce à l’engagement de bailleurs et d’élus qui initient des démarches et des programmes.

Alexandre Faure : L’engagement des cohabitants dès la conception du projet est-il une condition sine qua non de l’habitat participatif ? 

Anne Labit : Les cohabitants doivent s’engager à un moment ou un autre. Cela peut être après la conception — c’est le modèle des maisons Abbeyfield qui vont s’implanter en France (projet porté par Bernard Jouandin sous le nom de Koyo). Un porteur de projet prend en charge la partie conception de l’habitat et maîtrise d’ouvrage. En revanche, les habitants co-construisent le projet social. Le projet de vie. Il faut qu’à un moment, les habitants soient impliqués. S’ils ne le sont pas du tout et qu’on décide à leur place, ça n’est pas de l’habitat participatif. 

Evolution des aspirations au fil du temps

Alexandre Faure : Observez-vous une évolution dans les aspirations des cohabitants, en ce qui concerne le partage entre les espaces privatifs et collectifs ? 

Anne Labit : L’habitat groupé autogéré dans les années 1970 et 1980, ce sont des jeunes, des familles qui élèvent leurs enfants en cohabitat. Ces gens-là aujourd’hui ont vieilli. Dans ces habitats-là, un certain nombre n’ont plus de liens de voisinages et sont devenus des copropriétés classiques, mais c’est juste dans les habitats anciens. Le renouveau à partir des années 2000, à 90 % ce sont des habitats intergénérationnels. Quelques habitats ont été montés par des retraités qui pensent qu’en intergénérationnel, la question de la dépendance risque d’être laissée de côté, et qui choisissent donc de créer des projets uniquement seniors. 

Législation favorable à l’habitat participatif

Alexandre Faure : Les lois ELAN et ALUR ont-elles facilité la création de projets d’habitats groupés ? 

Anne Labit : L’intérêt de la loi ELAN qui identifie l’habitat inclusif et de ALUR qui reconnaît l’habitat participatif, c’est qu’ils entérinent les concepts en leur donnant une existence juridique. Grâce à cela, les élus locaux ont entendu parler de l’habitat participatif et inclusif. Malheureusement, ces lois enserrent, contraignent sans résoudre les problèmes rencontrés par les porteurs. 

De plus en plus d’élus locaux sont au courant de ces sujets, s’en saisissent. Ils sont surtout sollicités par des citoyens, des acteurs divers et variés. Ils se disent que sur leur commune cela serait bien d’avoir des formules d’habitat qui répondent aux besoins de personnes vieillissantes. Dès l’instant où qu’elles ne peuvent pas rester chez elles, mais ne veulent pas aller en institutions médicalisées. Parce qu’elles n’ont peut-être pas les moyens d’aller en résidence service. C’est ce qui conduit les acteurs locaux à essayer d’inventer des concepts neufs, inclusifs, éventuellement participatifs. Donc, effectivement, la loi contribue à faire avancer le sujet. 

Rôle des pouvoirs publics dans le développement des projets

Alexandre Faure : Comment les autorités locales pourraient-elles faciliter l’émergence de nouveaux projets ?

Anne Labit : On pense d’abord aux problèmes de foncier et de financement de ces projets. Dès lors qu’on a des publics avec des revenus, des capitaux diversifiés, qu’on veuille intégrer les personnes qui n’auraient pas les revenus ou les capitaux nécessaires. Mais, à mon avis, le principal écueil réside dans la coordination des projets. Un projet qui fonctionne c’est un projet qui est porté par un collectif d’acteurs qui ont travaillé en partenariat. Ces démarches d’ingénierie sociale sont complexes, faire travailler ensemble des acteurs issus d’environnements différents. Des promoteurs, des élus, des architectes, des urbanistes, des habitants.

Par exemple, s’associer avec un bailleur permet d’accueillir des publics moins argentés, mais le bailleur n’a pas vraiment l’habitude de travailler en collaboration, en particulier avec les populations. Une fois le projet livré viennent toutes les difficultés liées à la nature même de ce type de lieu. L’habitat inclusif et participatif, c’est avoir de l’entraide, utiliser des espaces communs. Dès lors que l’on est en collectif qui s’autogère, qui décide ensemble, il peut y avoir de la divergence de vues, il faut apprendre à communiquer, à prendre des décisions partagées. Des difficultés classiques en projet collaboratif.

Alexandre Faure : Une fois que les habitats sont créés, quels sont les moyens pour assurer leur pérennité ? 

Anne Labit : Qu’est-ce qui peut faire qu’un truc se casse la figure, c’est par exemple que des conflits entre les cohabitants ne soient pas réglés, dégénèrent et provoquent du retrait. Les personnes se retirent de toute dynamique collective. Il faudrait trouver les moyens, mais c’est faisable, il y a des médiations, de la gestion de conflit. 

Autre écueil, la difficulté quand les gens vieillissent c’est l’arrivée de dépendances, de difficultés qui ne seraient pas prises en compte dans l’habitat. Les gens se sentiraient obligés de partir parce qu’ils ne se sentent pas en sécurité, pas aidés. Il faut avoir mis en place des choses qui permettent aux gens de rester malgré les difficultés physiques et cognitives. L’habitat doit être adapté, le collectif doit être soutenant. 

En Allemagne, des habitats qui fonctionnent depuis vingt ou vingt-cinq ans ont prévu l’intervention de professionnels en cas de problèmes, que cela s’articule avec l’entraide, qu’on réserve des logements à des professionnels de santé. 

C’est un projet dans lequel tous les acteurs ont leur mot à dire. Ils sont écoutés et leurs avis sont pris en compte. Une organisation dans laquelle on invente des solutions au fil de l’avancée du projet et de la prise en compte des besoins.

Aller plus loin avec une vidéo de Anne Labit

Une conférence de Anne Labit consacrée à l’habitat participatif

Livre blanc de l’habitat inclusif

J’ai réalisé cette interview dans le cadre d’un projet de livre blanc pour Ages&Vie. Nous avons réuni les témoignages d’une dizaine de spécialistes pluridisciplinaires afin de faire la promotion de l’habitat inclusif. La contribution d’Anne Labit est plutôt orientée sur le participatif, mais elle me semble indispensable pour comprendre l’état d’esprit des porteurs de projets âgés souhaitant vivre en collectivité et sans la contrainte d’un organisateur externe.

Couverture du livre blanc Sweet Home pour Ages&Vie dans lequel Anne Labit donne son interview
Couverture du livre blanc Sweet Home pour Ages&Vie

Ce qui me semble important de comprendre c’est que ces projets sont séduisants, mais qu’ils ne s’adressent pas à tout le monde. J’irai même plus loin : ils s’adressent à la petite minorité de citoyens désirant rester complètement maîtresse de sa vie et l’organiser dans ses moindres détails.

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