Libertés fondamentales en Ehpad

Les EHPAD respectent-ils les libertés de leurs résidents ? Bien avant que le livre Les fossoyeurs révèle le scandale Orpéa, le défenseur des droits s’était penché sur la question. Nous avons analysé son rapport.

Après s’être calmé pendant quelques mois, l’EHPAD « bashing » a fait son grand retour dans les médias français avec la crise du covid. Derrière cette expression se cache l’idée, fondée ou non, que les EHPAD démontrent régulièrement leur incapacité à s’occuper des personnes qui leur sont confiées dans la dignité qu’elles méritent. L’EHPAD en tant qu’institution aurait atteint ses limites. Sans réforme majeure, il semble condamné à demeurer le dernier recours, le choix par défaut lorsque tous les autres types de logements nous sont fermés. Les vagues médiatisées de décès dans les EHPAD auraient suffi à alimenter à nouveau les critiques à l’encontre du modèle. C’était sans compter les mesures adoptées dans l’urgence par les établissements qui ont immédiatement suscité la polémique.

Ces mesures ont été contestées par les résidents, leurs proches et par les professionnels. À tel point que le Défenseur des Droits a choisi de publier un rapport spécifique sur le respect des libertés au sein des EHPAD pendant la crise sanitaire. Avec plus 700 réclamations centrées sur l’accompagnement en EHPAD reçues par le Défenseur des Droits au cours des 6 dernières années – soit seulement 0,5 % des réclamations reçues au total – l’organisme a jugé que le sujet méritait un traitement spécifique.

Le rapport a été réalisé à partir des réclamations reçues par le Défenseur des Droits depuis 2019 et par celles reçues par les ARS depuis 2017. En parallèle l’institution a conduit des entretiens avec l’ensemble des catégories de parties-prenantes qui gravitent autour de l’EHPAD. À ce titre, il se veut représentatif de la situation actuelle de ces établissements.

Intrigués par ce rapport, nous avons décidé d’étudier plus précisément sa composition. Voici ce que nous en avons tiré. Mais avant d’entrer dans le vif du sujet, j’aimerais vous expliquer qui est le Défenseur des Droits et pourquoi il s’intéresse à ce sujet.

Qui est le défenseur des droits ?

En France, le Défenseur des droits (DDD) est une autorité administrative indépendante, créée par la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 et instituée par la loi organique du 29 mars 2011.

Le DDD est nommé par le président de la République pour un mandat de six ans non renouvelable.

Sa mission : défendre les droits des citoyens face aux administrations, promouvoir les droits de l’enfant, lutter contre les discriminations, veiller au rspect de la déontologie des activités de sécurité et enfin, protéger et orienter les lanceurs d’alerte.

Les premiers titulaires furent Dominique Baudis puis Jacques Toubon. Depuis 2020, la titulaire actuelle est Claire Hédon.

Saisine du défenseur des droits

Le Défenseur des droits peut être saisi par toute personne physique ou morale qui s’estime lésée dans ses droits et libertés par le fonctionnement d’une administration de l’État, d’une collectivité territoriale, d’un établissement public ou d’un organisme investi d’une mission de service public ; il peut également se saisir d’office.

Dans le cadre de ses autres missions, il peut être saisi par :

  1. Un enfant qui invoque la protection de ses droits ou une situation mettant en cause son intérêt, ses représentants légaux, les membres de sa famille, les services médicaux ou sociaux ou toute association régulièrement déclarée depuis au moins cinq ans à la date des faits et se proposant par ses statuts de défendre les droits de l’enfant ;
  2. Toute personne qui s’estime victime d’une discrimination. Directe ou indirecte, prohibée par la loi ou par un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France. Ou toute association régulièrement déclarée depuis au moins cinq ans à la date des faits se proposant par ses statuts de combattre les discriminations ou d’assister les victimes de discriminations. Conjointement avec la personne s’estimant victime de discrimination ou avec son accord ;
  3. Toute personne qui a été victime ou témoin de faits dont elle estime qu’ils constituent un manquement aux règles de déontologie dans le domaine de la sécurité.

Le Défenseur des droits décide lui-même de donner suite ou non à la saisine

Moyens d’action du Défenseur des Droits

Le Défenseur des droits peut faire toute recommandation qui lui apparaît de nature à garantir le respect des droits et libertés de la personne lésée et à régler les difficultés soulevées devant lui ou à en prévenir le renouvellement. Il peut procéder à la résolution amiable des différends portés à sa connaissance, par voie de médiation.

Dans le cas de réclamation d’une personne s’estimant victime d’une discrimination ou invoquant la protection des droits de l’enfant appelle une intervention de sa part, il l’assiste dans la constitution de son dossier et l’aide à identifier les procédures adaptées à son cas, y compris lorsque celles-ci incluent une dimension internationale.

Dans le cas de discrimination, il peut proposer à l’auteur des faits une transaction consistant dans le versement d’une amende transactionnelle dont le montant ne peut excéder 3 000 € s’il s’agit d’une personne physique et 15 000 € s’il s’agit d’une personne morale et, s’il y a lieu, dans l’indemnisation de la victime.

Le Défenseur des droits peut recommander de procéder aux modifications législatives ou réglementaires qui lui apparaissent utiles. Il peut être consulté par le Premier ministre sur tout projet de loi intervenant dans son champ de compétence. Il peut également être consulté par le Premier ministre, le président de l’Assemblée nationale ou le président du Sénat sur toute question relevant de son champ de compétence.

Il contribue, à la demande du Premier ministre, à la préparation et à la définition de la position française dans les négociations internationales dans les domaines relevant de son champ de compétence.

Le défenseur des droits publie également des rapports afférents à ses sujets de prédilection et c’est dans ce cadre qu’il a réalisé le rapport sur le respect des libertés en Ehpad dont nous allons à présent vous faire l’analyse.

EHPAD : des déficiences de longue date

Le Défenseur des droits souligne que l’entrée en EHPAD s’accompagne trop souvent d’un abandon de toute liberté de choix. Dès l’entrée, le choix de l’EHPAD est un choix par défaut. On entre en EHPAD quand on ne peut plus aller ailleurs. Ce présupposé est trop souvent conservé au cours du séjour. Le consentement n’est parfois pas recherché alors que les personnes sont en capacité d’exprimer leur volonté.

Le Défenseur des Droits condamne le manque d’adaptation des prestations. Le projet personnalisé est souvent conçu unilatéralement et rarement réévalué. Les repas, les activités de loisirs, le peu d’attention prêtée aux aides techniques individuelles, tout participe au manque d’adaptation de l’accompagnement. La faute à un manque de personnel chronique. Le glissement des tâches – des professionnels forcés d’accomplir des actes qui ne sont pas inscrits dans la définition de leur poste – apparaît trop souvent pour permettre une prise en charge appropriée.

Corollaire du manque de personnel : le défenseur des droits observe aussi le non-respect du droit à la santé. Le manque de suivi au sein de l’EHPAD et entre les professionnels de santé conduit à une prise en charge insuffisante pour assurer la qualité des soins.

Enfin le Défenseur des Droits pointe de multiples atteintes à la liberté d’aller et venir, à la vie privée et à la propriété. Certains résidents doivent renoncer à une part du contrôle sur leur vie, parfois de manière abusive.

Des déficiences accentuées par la crise sanitaire

Au cours de la crise sanitaire, les conditions de vie des résidents ont été significativement modifiées. L’influence conjointe du gouvernement, des ARS, des Conseils Départementaux, des préfets et des directions d’EHPAD ont conduit à l’application de mesures exceptionnelles.

Selon le Défenseur des droits, beaucoup de ces mesures sont contraires à la liberté des résidents. L’institution regrette que le gouvernement ait recouru systématiquement au “droit souple” – recommandations, conseils et autres protocoles adressés aux EHPAD – qui n’est soumis à aucun contrôle juridictionnel.

Ainsi, contraindre les résidents à accepter les mesures adoptées – par exemple le confinement en chambre – n’a jamais été sanctionné par un texte juridique en bonne et due forme. Le gouvernement a pourtant recommandé aux directions d’établissement de recourir à la contrainte lorsqu’ils le jugeaient nécessaire. De façon générale, les autorités ont laissé beaucoup de marges de manœuvre aux établissements. Elles se sont de fait dégagées de toute responsabilité.

Par ailleurs, le Défenseur des droits considère que les restrictions ont souvent été maintenues au-delà de ce qui était nécessaire et sans considération pour les résidents. Le traitement imposé s’est révélé discriminatoire en comparaison de celui imposé aux français hors des établissements.

Finalement, l’institution regrette la difficulté d’accès aux recours lorsque les libertés ne sont pas respectées. Les français devraient pouvoir adresser des réclamations mais y ont peu recours.

L’urgence et le principe de précaution expliquent en grande partie tous ces manquements. Néanmoins, comme l’indique le Défenseur des droits, il existe en France des dispositifs juridiques spécifiques pour que les décisions prises dans l’urgence puissent être contrôlées a posteriori. Ces dispositifs ont tout simplement été contournés par les autorités dans les consignes qu’elles ont transmises aux EHPAD. C’est ce contournement qui fonde l’essentiel des critiques émises par le rapport.

Le rapport du Défenseur des Droits passe à côté des problèmes de fond

Les constats proposés sont riches, mais trop indépendants les uns des autres pour constituer un véritable diagnostic. En séparant le sujet en thématiques, le Défenseur des Droits a refusé de se demander pourquoi l’EHPAD en tant qu’institution générait tant de défaillances en comparaison des autres établissements médico-sociaux. Ce n’est effectivement pas le rôle du défenseur des droits. Les recommandations se contentent de traitements symptomatiques

Pourtant, au sein des constats proposés, nous pouvons distinguer une série de tendances lourdes qui nous invitent à envisager les évolutions à venir pour l’EHPAD.

Tiraillement autour du prix du service

D’un côté, les experts s’accordent à dire que le taux d’encadrement dans les EHPAD est largement insuffisant. La rationalisation poussée à l’extrême a permis de pratiquer les soins et l’accompagnement essentiels avec moins de personnel, cela au prix d’une organisation parfois qualifiée de déshumanisante.

D’un autre côté, les tarifs imposés aux résidents restent très élevés, surtout en comparaison des autres types de résidences destinées à des personnes âgées en perte d’autonomie.

L’EHPAD en tant qu’institution est face à une injonction contradictoire. Le modèle dans son ensemble est taillé pour délivrer une prestation standardisée. L’architecture, les réglementations, le poids des ARS dans le financement et l’organisation des soins, tout invite à une division des tâches, des espaces et du temps qui ne peut être viable qu’à condition qu’elle ne souffre aucune exception. Or, les résidents, les proches et les pouvoirs publics exigent, à juste titre, une prestation personnalisée. Les résidents sont des individus et méritent d’être traités comme tels.

La confrontation entre le modèle standardisé et la revendication légitime d’une plus grande personnalisation débouche inévitablement sur les déficiences observées par le Défenseur des Droits. Les EHPAD tels qu’on les connaît conservent certaines marges de manœuvre. Mais personnaliser davantage c’est s’éloigner de la zone dans laquelle le modèle fonctionne le mieux. Personnaliser davantage c’est ajouter à la tension déjà importante imposée aux personnels des EHPAD.

Quel public accueillir ?

Vouloir s’occuper de tout le monde, c’est mal prendre en charge tout le monde. Les EHPAD seront amenés à se spécialiser dans la prise en charge des personnes les plus dépendantes. La standardisation des procédures à laquelle on assiste s’adapte progressivement aux personnes les moins autonomes. Cela dégrade la prise en charge des personnes qui disposent de plus de capacités, donc qui pourraient bénéficier de plus de libertés.

Cette tendance est soutenue par le tissu de plus en plus dense d’offres institutionnelles à destination de personnes en perte d’autonomie modérée : résidences services, résidences autonomie, habitats inclusifs, colocations, béguinages, autant de modèles encore rares il y a une dizaine d’années mais qui essaiment désormais partout en France.

Par ailleurs, les offres pour simplifier le maintien à domicile sont en plein essor. La population prend peu à peu conscience de l’importance d’un habitat adapté. Des outils technologiques tels que la télésurveillance donnent davantage de moyens aux familles pour suivre l’état de santé de leurs proches âgés. Les innovations organisationnelles, telles que l’EHPAD hors les murs ou le baluchonnage, offrent un soutien supplémentaire à la personne âgée, ainsi que du temps de répit pour ses proches aidants.

La coordination des professionnels du médico-social

La séparation entre santé, social et médico-social se fait d’autant plus sentir en EHPAD où des soins réguliers sont indispensables sans se suffire à eux-mêmes. Les professions restent cloisonnées, peinent à communiquer. Les difficultés identifiées par le rapport en matière de soins et d’accompagnement, avant et pendant la pandémie, en sont une conséquence directe.

La question de la coordination est un sujet de longue date pour les acteurs de la dépendance. La création des agences régionales de santé (ARS) ou la mise en place des méthodes d’action pour l’intégration des services d’aide et de soins dans le champ de l’autonomie (MAIA) n’ont pas suffi à résoudre les difficultés. Le nombre d’intervenants différents, qui correspond à autant de cultures professionnelles, rend la tâche complexe.

L’EHPAD ne parviendra à limiter les défaillances que s’il cesse de s’envisager comme un modèle fermé (avec des intervenants extérieurs) pour évoluer vers un modèle de plateforme où les professionnels se rencontrent. Systématiser le suivi interprofessionnel des résidents sera une des clefs pour limiter les manquements en termes d’accompagnement et de soins.

Conclusion

Le rapport du Défenseur des droits pointe avec raison les défaillances de l’EHPAD, mais offre des recommandations trop ciblées pour qu’elles soient véritablement effectives. À la source de ces défaillances se trouvent les contradictions dans lesquelles s’enfonce l’EHPAD au fil du temps.

Ce modèle aura indéniablement un rôle clef à jouer pour faire face à l’afflux de personnes âgées dépendantes, mais il ne pourra jouer ce rôle s’il s’obstine dans sa formule actuelle. À trop vouloir accueillir tout le monde, il ne s’adapte à personne. Il empiète également sur le terrain d’établissements plus spécialisés. La pression sur les professionnels qui y travaillent est d’ores et déjà trop importante pour laisser beaucoup de marge de manœuvre. Ce n’est qu’en acceptant que l’EHPAD s’adresse à une catégorie spécifique de personnes âgées, les plus dépendantes, que celui-ci pourra tirer le meilleur profit de sa structure.

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