Pas de limite au maintien à domicile

vivre et vieillir chez soi par nicole Jacquin Mourain

Dans cette interview du docteur Nicole Jacquin-Mourain, vous apprendrez pourquoi et comment il es possible d’organiser le maintien à domicile d’une personne vieillissante, même très dépendante. Gériatre libérale ayant travaillé en institution, le docteur Jacquin Mourain est persuadée qu’il vaut mieux vivre chez soi qu’en Ehpad, quoiqu’il en coûte.

Interview de Nicole Jacquin-Mourain (Anggeldom) par Alexandre Faure (Sweet Home)

Dr Jacquin-Mourain : Bonjour, je m’appelle Nicole Jacquin-Mourain, je suis gériatre et ancienne présidente de l’association des gériatres et gérontologues libéraux (ANGGEL).

Alexandre Faure : Avez-vous toujours été gériatre ?

Anggel'dom

Dr Jacquin-Mourain : Oui, en effet. J’ai terminé mes études de médecine en 1979 et intégré un service de gériatrie et cela m’a immédiatement plu.

J’ai été praticien hospitalier pendant vingt cinq ans jusqu’à ce que j’ai fait le tour du poste. Rien n’avançait. Au départ on avait 105 lits sur trois étages et quand j’ai démissionné, on avait une infirmière l’après-midi pour les trois étages.

C’est plus de la garderie que de la médecine. Ce n’est en tout cas pas la médecine pour personnes âgées comme je la concevais. Après cela, je me suis occupée de maisons de retraite aussi bien privées que publiques et je n’ai pas supporté.

Mon éthique était en contradiction avec le fonctionnement de ces établissements. Je suis donc partie m’installer en tant que gériatre libéral et là, ça a été génial. J’ai eu une patientèle importante rapidement parce que les gens sont contents quand on s’occupe d’eux, qu’on les écoute et qu’on va à domicile.

Le revers de la médaille c’est que je travaillais plus de douze heures par jour avec 70% de visites à domicile.

J’ai fini par ne plus tenir la distance : une consultation gériatrique prend beaucoup de temps : il faut écouter la famille, les aidants, le patient. Il faut l’examiner et lui expliquer tout ce qu’on fait.

C’est donc des consultations de minimum une heure au cabinet et bien plus à domicile sans parler du temps de trajet et des problèmes de stationnement à Paris.

A partir de quel âge doit-on consulter un gériatre

Dr Jacquin-Mourain : A partir de quel âge on est vieux ?

Un ado vous dirait à 35 ans, Balzac aussi. L’OMS dit 65 ans et la Sécurité sociale dit 75 ans.

Normalement, les gériatres ne devraient soigner que des plus de 75 ans.

On perd toute la partie de prévention qui est fondamentale.

Quand j’étais en activité je prenais les gens à partir de 60 ans. A l’inverse, il y a des gens qui ne veulent pas consulter de gériatre parce qu’ils s’imaginent être trop jeunes alors que leur état de santé devrait les décider à venir vers nous.

Lire aussi : Comment calculer son espérance de vie

Alexandre Faure : La gériatrie intéresse-t-elle de jeunes médecins ?

Dr Jacquin-Mourain : Oui, la gériatrie libérale intéresse de jeunes médecins, mais les conditions d’exercice sont complexes et la rémunération inadaptée. Je reçois chaque semaine deux à trois email de jeunes confrères qui souhaitent ouvrir un cabinet et je dois souvent les dissuader car, à moins d’avoir un autre poste en hôpital ou en maison de retraite, c’est difficile d’en vivre.

On a une spécialité (la spécialité 34) mais aucune nomenclature codifiée. Par conséquent, nous utilisons la codification d’actes générique des spécialistes sans valeur ajoutée. C’est une tarification inadaptées à la longueur des actes de gériatrie.

Anggel’dom est une plateforme de télémédecine mais aussi un service dédié et exclusif pour les seniors en perte d’autonomie.

Lire aussi : La gériatrie, discipline médicale d’avenir ? (Audiens Le Média)

Comment est né le projet Anggel’dom ?

Dr Jacquin-Mourain : Les gens ne veulent pas aller en EHPAD et ils ont raison. Moi qui y ai travaillé, je ne peux pas les y inciter. Lorsque j’ai pris ma retraite, j’ai approfondi une réflexion que nous avions avec mes confrères d’ANGGEL. Nous cherchions à simplifier et sécuriser le volet médical du maintien à domicile en élaborant une plateforme numérique centralisant toutes les informations nécessaires aux différents professionnels de santé qui côtoient le patient.

Nous commençons par rencontrer le patient à son domicile. Ce diagnostic est réalisé par un médecin gériatre ou formé à la gériatrie.

  • Il fait une évaluation de la situation et établit un menu personnalisé, adapté aux pathologies, à l’environnement social, familial.
  • Ensuite, il vérifie que l’appartement est adapté ou doit être adapté pour que le maintien à domicile soit possible sans danger.
  • Enfin, il vérifie les prescriptions en cours et s’assure de la compatibilités des traitements. C’est très important de faire ce contrôle parce que souvent les personnes âgées voient des médecins différents qui ne se connaissent pas, ne savent pas s’il y a d’autres ordonnances. Chacun fait son ordonnance de produits qui ne sont pas tous compatibles entre eux. cela peut déboucher sur des hospitalisations pour iatrogénie. C’est la troisième cause d’hospitalisation en France chez la personne âgée, ce qui est surréaliste.

Lire aussi : polymédication des seniors et iatrogénie médicamenteuse (Audiens Le Média)

Que se passe-t-il une fois toutes les informations collectées ?

Dr Jacquin-Mourain : Les informations sont centralisées sur une plateforme numérique hébergée dans un cloud avec un accès individuel sécurisé. On enregistre les antécédents du patient, ses pathologies habituelles et les traitements actuels.

La plateforme peut également être enrichie avec des images : on peut prendre des photos et les mettre en pièce jointe pour suivre les pathologies. On peut photographier les examens biologiques, les compte rendus.

Et chaque patient dispose d’une carte individuelle avec son numéro de dossier et le numéro d’urgence pour contacter le service d’accueil téléphonique dédié où le médecin de permanence pourra prendre une décision avec toutes les informations nécessaires.

On peut d’ailleurs le contacter directement depuis la plateforme. Lorsque le médecin traitant du patient est en vacances, son remplaçant peut consulter tout le dossier. En consultant le dossier médical, il peut reconstituer l’historique du patient et prendre les bonnes décisions.

J’ai moi-même expérimenté ce programme pour mon père. Quand j’ai pris ma retraite j’ai fait un voyage à l’étranger et au bout de trois jours l’infirmière m’alerte à travers la tablette car son état de santé était dégradé.

J’ai prescrit une prise de sang et, à partir des résultats, j’ai changé tout son traitement. J’ai renvoyé une ordonnance via la plateforme et mon père est allé mieux tout de suite.

A travers ce dossier médical sur la plateforme on arrive à traiter pas mal de chose à distance.

Par exemple pour un début d’escarres on prend la photo, on l’envoie au médecin qui n’a pas besoin de se déplacer, il envoie une ordonnance et voila le tour est joué! Chaque transmission est horodatée et ne peut pas être effacée, ça part directement sur la plateforme. On peut également associer des objets connectés pour automatiser certains suivis.

Ils mesurent des paramètres en continu, comme l’oxymétrie ou la glycémie et lancent des alertes en cas de dépassement des seuils. La donnée remonte sur la plateforme où l’un des treize médecins connectés transmet l’alerte s’il y a effectivement un problème : aux enfants s’ils ont demandé à être contactés mais le plus souvent au médecin traitant.

La coordination des aidants

Alexandre Faure : Dans les retours des aidants sur le maintien à domicile, l’un des problèmes régulièrement pointé du doigt est la coordination des intervenants, avez-vous trouvé un moyen d’y remédier ?

Dr Jacquin-Mourain : En effet, chaque patient dispose des services d’une coordinatrice qui prend en charge l’ensemble des soignants, fait le lien avec le médecin traitant si nécessaire et avec le pharmacien.

Si la personne était hospitalisée, la coordinatrice récupère l’ordonnance de sortie pour préparer le retour à la maison.

Par exemple s’il faut de l’oxygène ou un lit médicalisé, la coordinatrice s’assure que tout sera prêt et que le patient arrive avec quelqu’un qui attend, un repas chaud et les aménagements nécessaires.

Alexandre Faure : Quel est profil de vos coordinatrices ?

Dr Jacquin-Mourain : C’est soit une ancienne infirmière, soit une secrétaire médicale. J’aime bien les infirmières car elles ont l’habitude de gérer les situations complexes. On prend des gens qui ont plutôt 50 ou 60 ans et une forte expérience.

Alexandre Faure : Anggel’dom offre également une assistance administrative, pouvez-vous nous en parler ?

Dr Jacquin-Mourain : Il y a pas mal de papiers à remplir : demandes d’APA ou d’allocation handicap que nous réalisons à la place des clients. Quand on voit qu’on arrive au bout de l’ordonnance, comme la pharmacie délivre pour un mois, la coordinatrice contacte la pharmacie pour que les médicaments arrivent au domicile.

On a tout un système d’aide aussi bien pour le patient, sa famille, le médecin. Auparavant, ce travail était assuré par les infirmières, mais on a réorganisé le travail car je veux que les médecins et infirmières fassent de la médecine et ne soient pas pollués par le travail administratif.

Alexandre Faure : Avez vous déjà eu des demandes pour intégrer des auxiliaires de vie dans le programme ?

Dr Jacquin-Mourain : Les auxiliaires de vie sont gérées par la société qui les emploi, moi je ne veux pas faire ça. Elles sont là et si jamais un jour la société n’était pas en mesure de palier à une absence, ils peuvent m’appeler pour que je dépanne, mais normalement ça n’est pas mon job. je le fais pour que tout marche bien et délivrer une qualité optimale.

Alexandre Faure : Vous arrive-t-il d’intervenir si la prestation de l’auxiliaire de vie n’est pas conforme à vos standards de qualité ?

Dr Jacquin-Mourain : Pas trop, mais ça arrive. C’est souvent une question de formation. Nous on essaye de les former à notre méthode, leur inculquer les bonnes pratiques. Moi j’y tiens.

La façon de donner à manger est importante pour éviter les fausses routes alimentaires. On leur explique comment donner à manger, comment parler à une personne atteinte de maladie. Elles sont très peu formées, ça change tout le temps, avec le turnover les prestataires n’ont pas le temps de former les nouveaux entrants et les mesures d’hygiène fondamentales ne sont pas connues.

Par exemple, nous sommes très attachés aux soins buco-dentaires. En vieillissant, physiologiquement on produit moins de salive et les médicaments diminuent encore la salive, il faut bien faire des soins de bouche.

Les auxiliaires ne le savent pas toujours et il faut les former à laver les dents deux ou trois fois par jour. On leur explique tout ça et après ça va mieux, elles comprennent pourquoi on les embête avec le brossage des dents, le lavage des prothèses, le rangement de la prothèse dans une boite.  Le programme dispose d’ailleurs de son propre chirurgien-dentiste.

Un dentiste à domicile

Alexandre Faure : Le dentiste intervient à domicile ?

Dr Jacquin-Mourain : Oui, il est équipé pour réaliser certaines interventions à domicile, notamment celles sur les appareils dentaires, mais même une extraction peut-être faite à domicile.

Anggel’Dom offre à nos clients une meilleure prise en charge en soins et un service personnalisé chez soi.

Alexandre Faure : Est-ce que Anggel’Dom propose des services non médicaux ?

Dr Jacquin-Mourain : Anggel’Dom offre à ses patients une meilleure prise en charge en soins et un service personnalisé chez soi. L’application de base comprend

  • Le dossier médical,
  • L’accès à la plateforme téléphonique,
  • La gestion administrative,
  • Les objets connectés.

On peut ajouter d’autres briques en fonction des demandes individuelles.

Par exemple, l’une de nos patientes est une ancienne musicienne qui avait envie qu’une musicienne vienne lui parler de musique, c’est une demande recevable. On sous traite avec quelqu’un qui trouve la bonne personne.

Si elle veut une conciergerie, on lui rajoute un module conciergerie !

Nicole Jacquin-Mourain

Alexandre Faure : Suite à votre enquête de terrain initiale, que proposez-vous lorsque le logement n’est pas adapté à un maintien à domicile ?

Dr Jacquin-Mourain : Soit les patients et les enfants sont d’accord pour faire des modifications, soit ils ne sont pas d’accord.

S’ils sont d’accord on peut faire les modifications, dans le cas contraire on prend des risques et je n’aime pas trop ça. Je fais un rapport écrit en signalant les aménagements à réaliser.

Si on veut vraiment rester jusqu’au bout, il faut anticiper tous les handicaps possibles. On a intérêt à adapter ou à choisir un appartement adaptable.

Alexandre Faure : Que pensez-vous des habitats intermédiaires qui servent de transition entre un chez soi pas adapté et l’EHPAD ?

Dr Jacquin-Mourain : C’est une solution à étudier. Elle permet aux gens qui ne supportent pas la solitude d’être dans un milieu où ils peuvent avoir des contacts. Mais ce n’est pas médicalisé. Dès que vous êtes dépendant, vous partez.

Alexandre Faure : Quels sont les avantages d’un maintien à domicile pour la personne âgée ?

Dr Jacquin-Mourain : Avoir son appartement c’est être libre et la sensation de liberté est importante. Chez nous français c’est important.  Nous sommes aussi très attachés à nos maisons et aux objets, chaque objet raconte une histoire et je pense que c’est important de protéger ça tant qu’on peut.

Alexandre Faure : Le maintien à domicile est-il possible jusqu’aux derniers instants du patient ?

Dr Jacquin-Mourain : Si nos patients souhaite rester chez eux coûte que coûte, nous mettons tout en oeuvre pour le faire. Tout est possible, même avec des grabataires.

Il vaut mieux anticiper les mesures de protection juridiques.

  • Le système des directives anticipées où les patients écrivent ce qu’ils veulent et ce qu’ils ne veulent pas. Ils ont le droit de changer tous les trois ans. Je pense qu’il faut respecter leur souhait.
  • Le mandat de protection future dans lequel on nomme la personne de confiance qui prendra les décisions quand vous ne serez plus en mesure de les prendre.

La seule chose qu’on ne sache pas gérer à domicile c’est les troubles du comportement. Ces situations et peuvent être dangereuses pour la personne et l’environnement.

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6 réflexions sur “Pas de limite au maintien à domicile”

  1. Super cette idée. Lorsqu’on est hors de la région parisienne, est-ce qu’on peut bénéficier du service Sweet Home ? J’ai lu que c’était limité à certains arrondissements de Paris.

    1. Bonjour Laurent, l’offre d’Anggel’dom repose d’une part sur une équipe de terrain constituée d’un médecin, d’une infirmière et d’autres intervenants plus ponctuels (kiné par exemple) et d’autre part des services de l’appli et de la plateforme (qui sont uniques pour tout le territoire). Pour le moment, l’offre est déployée en Ile-de-France car c’est là que travaille le docteur Jacquin-Mourain. Il y a également une entité à Montmorency. Le service pourrait être déployé ailleurs en France à condition de disposer d’un médecin traitant disposé à utiliser le système pour sa patientèle.

  2. Bonjour,
    J’ai mon compagnon qui a la maladie d’Alzheimer et a été conduit à l’hôpital de Saumur où la doctoresse ne veut plus le laisser sortir. Une période de 10 jours où il est restait en isolation et je l’ai compris. Il est âgé de 82 ans et j’adorais m’occuper de lui. Notre médecin traitant a même fait un courrier pour préciser combien mon compagnon était très bien à la maison. C’est vrai que je m’entends très mal avec le médecin de gériatrie qui s’occupe de Monsieur Lams. Mon compagnon qui est allée plusieurs fois en gériatrie est tombé du lit à plusieurs reprises. Après plusieurs désaccord, celle-ci m’en veut et cela est devenu personnel. Je ne comprends pas pourquoi je ne peux pas le garder à domicile. C’est mon seul désir. Que puis-je faire???????? Le service des usagers se range du côté du médecin gériatre. J’ai téléphoné à plein d’endroit mais aucune bonne réponse. Elle souhaite maintenant le mettre en maison de convalescence pour une durée indéterminée.ma vie est détruite et mon compagnon qui a la maladie d’Alzheimer ne me reconnaîtra plus.

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