Quand on s’intéresse à la Silver Economie, Jean-Philippe Arnoux fait partie des personnes à connaître. Le directeur Silver Economie de Saint Gobain est une personnalité incontournable de l’écosystème. Infatigable promoteur de l’adaptation du logement, il est à l’origine de la marque Vita-Confort. Avec cette enseigne, il a mis sur le marché grand public une gamme d’équipements adaptés aux fragilités des seniors. Par exemple un meuble de salle de bains adapté aux fragilités co-créé avec des utilisateurs via le programme ME 310 de la d-school Paris Est.
Coresponsable du groupe de travail « adaptation du logement » créé dans le cadre de la filière Silver Economie, Jean-Philippe Arnoux a publié avec Hervé Meunier (DG de Filien-ADMR) un rapport qui dresse un état des lieux sans concessions du parc immobilier hexagonal. Co conçu avec les professionnels du secteur du logement propose, ce bilan propose 16 axes d’amélioration pour adapter les logements à l’accroissement de l’espérance de vie, en aidant les Français à réaliser leur souhait de vieillir à domicile.
Je le rencontre aujourd’hui pour parler de son projet de showroom mobiles qui sillonnent la France rurale et périurbaine pour sensibiliser les Français à l’adaptation de leur domicile pour bien vieillir, éviter les chutes et rester chez soi le plus longtemps possible.
Jean-Philippe Arnoux ne fait pas les choses à moitié. Il s’investit à 200% dans ce projet qu’il voit comme un formidable moyen de rencontrer, convaincre et aider citoyens, élus et professionnels.
Visite guidée dans le showroom mobile
A mon arrivée, il est justement en plein parcours de découverte avec un couple âgé.
« Et donc, le bol à punch en cristal de Bohème pour 12 personnes que vos parents vous ont offert à votre mariage, bien sûr que vous le gardez dans la cuisine, mais vous le mettez en hauteur, pour le voir. Et dans les tiroirs, vous rangez les équipements que vous utilisez au quotidien »
La femme : « et le robinet de la cuisine, qu’est-ce que vous conseillez d’utiliser »
Jean-Philippe Arnoux : « vous utilisez ce qui est le plus pratique pour vous. Le col-de-cygne avec les deux boutons est aussi efficace que le mitigeur, le mélangeur et le thermostatique. C’est vous qui décidez. En revanche, profitez des travaux pour choisir un revêtement de sol antidérapant. Vous voyez, celui qu’il y a dans le camion, c’est un sol technique qu’on emploie dans les établissements recevant du public. Là-dessus vous ne glissez pas, même si le sol est humide. Cela ne vous empêchera pas de tomber à coup sûr, mais si vous perdez l’équilibre, vous aurez le temps de vous rattraper, alors qu’avec le sol carrelé de votre cuisine, ça ne sera pas le cas. »
La visite du showroom mobile se poursuit
L’intérieur du camion accueille une kitchenette, deux douches et un banc latéral. Les murs et les sols sont revêtus de lambris PVC. « Ils imitent le carrelage mais permettent de gagner un à deux jours de pose sur les chantiers de salles d’eau » m’explique Jean-Philippe Arnoux. C’est lui qui a pensé l’aménagement intérieur, en travaillant avec des ergothérapeutes. Il a ensuite supervisé la « construction » du showroom roulant. Il a également convaincu une dizaine de partenaires industriels, Français et Européens, de contribuer à ce projet en donnant du mobilier, des accessoires ergonomiques, des brochures et tout l’équipement nécessaire pour bien communiquer avec les visiteurs particuliers et professionnels.
Comment s’est construite la visite guidée ?
La visite guidée, Jean-Philippe Arnoux l’a bâtie d’expérience, après avoir assisté à beaucoup d’ateliers collectifs. C’est à ces occasions qu’il s’est aperçu que même si le sujet est clair et que les gens viennent pour l’adaptation du logement, « si on entre brut de décoffrage dans les sujets de la douleur et du genou qui coince, on ne crée pas une bonne ambiance d’écoute». C’est pourquoi Jean-Philippe Arnoux commence sa visite guidée par la cuisine car « la cuisine, c’est un endroit des plaisirs, un endroit où la famille a l’habitude de se réunir, où on prépare le thé quand on reçoit de la visite. »
« On va essayer d’engager le dialogue et le meilleur moyen, c’est autour de la bouffe et du plaisir. »
Icebreaker
Cette entrée en matière aide à abattre les résistances autour de sujets sensibles. Elle permet à Jean-Philippe Arnoux et aux autres animateurs de distiller des règles d’autonomie. « On rappelle les règles. Des meubles bas, des meubles hauts. La présentation de chaque équipement est prétexte à découvrir une aide de confort. Ici, un ouvre bocal ergonomique placé sous le meuble. Dans les tiroirs, des cuillers, ouvre bocaux et ouvre-bouteille. L’idée, c’est d’aider les visiteurs à se projeter dans leur quotidien et dans un environnement qu’il connaisse et qui soit esthétique. C’est pour ça qu’on a adopté des couleurs boisées et chaudes et pas un camion blanc qui rappelle l’hôpital. »
Salle de bains
Après la cuisine, les sols, Jean-Philippe Arnoux présente à ses visiteurs ses deux modèles de douche adaptée en vantant les atouts de chaque modèle en fonction des situations et de l’évolution des fragilités. « Quand je parle de la salle de bains, je ne vais pas parler d’ergonomie. Je vais dire « c’est important que vous vous fassiez belle tous les matins », parce qu’on sait très bien que quand les messieurs arrêtent de se raser et les femmes de se coiffer, c’est qu’ils sont sur la pente vraiment descendante. Donc le lavabo, c’est un endroit d’hygiène mais aussi c’est un endroit de beauté, donc il faut parler de la beauté. Et après on parle de la fonctionnalité. D’abord le plaisir, le positif et après on explique ce que ça permet d’éviter. »
A l’issue d’une visite complète qui a duré une heure, le couple quitte le showroom mobile avec une pile de brochures et des idées plein la tête.
Je profite d’une accalmie dans les visites pour poser quelques questions à Jean-Philippe Arnoux sur son projet.
Interview de Jean-Philippe Arnoux
Alexandre Faure : Jean-Philippe, pouvez-vous nous raconter comment cette idée de showroom mobile vous est venue ?
Jean-Philippe Arnoux : La première fois qu’on a eu l’idée, c’était lors d’un échange avec Pierre Olivier Lefebvre (le secrétaire général du réseau francophone Villes Amies des Ainés). Une chose en amenant une autre, c’est Soliha qui a concrétisé il y a deux ans avec un premier truck équipé pour la Nouvelle-Aquitaine. Nous avons ensuite décliné un modèle un petit peu différent pour le camion que vous voyez ici, mais l’idée est la même.
Alexandre Faure : Quels sont les principaux objectifs de votre projet ?
Jean-Philippe Arnoux : Il s’agit de disposer d’un showroom mobile qui nous permet d’aider les visiteurs à se projeter dans un environnement rassurant. Le showroom est conçu pour tous les publics : particuliers, bien sûr, mais également professionnels du bâtiment, soignants, auxiliaires de vie, aidants, etc.
On n’est pas dans la théorie. On montre une vraie cuisine, une vraie douche, de vraies aides techniques et de confort, installés dans un environnement qui parle aux gens.
Nous voulons aussi montrer que la perte d’autonomie s’aménage avec le temps. Par exemple pour la salle de bains, on peut commencer par utiliser une planche de bains dans la baignoire avant d’envisager de la remplacer par une douche.
« L’enjeu c’est de montrer des solutions fonctionnelles et esthétiques pour aider les gens à adapter leur logement. »
Accompagnement post-visite
Alexandre Faure : Nous venons de faire une visite avec un couple de seniors. Avec quoi repartent-ils ?
Jean-Philippe Arnoux : Je cherche à leur apporter un maximum de conseils pratiques pour adapter leur domicile et anticiper les fragilités. Nous profitons de leur visite pour leur communiquer toutes les documentations utiles pour un projet d’adaptation du logement. Nous avons par exemple le guide de l’ANAH : Mon chez moi avance avec moi.
Pour les foyers modestes et très modestes, nous sommes partenaires avec Solidaires pour l’habitat (Soliha). Nous avons aussi des communications autour de l’ANFE (association nationale française des ergothérapeutes). Nous parlons du site web j’aménage mon logement créé par la CNAV.
Nous essayons d’agréger toutes les communications des acteurs publics en mode guichet unique mobile, afin de faire converger une communication qui est aujourd’hui très éparse. Quand les gens sortent du camion, ils emportent toute cette documentation ainsi que celle sur les aides techniques et les solutions numériques !
Alexandre Faure : Est-ce que vous continuez à les accompagner après, lorsqu’ils décident de passer à l’action ?
Jean-Philippe Arnoux : Bien entendu. il y a deux cas de figure.
- Les foyers éligibles aux aides de l’ANAH sont adressés à Soliha qui va monter le dossier.
- Si c’est une personne qui n’est pas éligible à ce dispositif mais qui a des idées, nous sommes capables de l’accompagner puisqu’on a une plateforme d’intermédiation entre des particuliers et des professionnels.
Alexandre Faure : Qui sont ces professionnels ?
Jean-Philippe Arnoux : Nous recensons actuellement 250 000 artisans et professionnels dans le réseau. Attention, nous ne renvoyons pas sur n’importe qui. Nous privilégions les artisans qui sont dans une vraie démarche d’adaptation au vieillissement. Nous avons un partenariat avec la Capeb qui a financé 25% de ce camion et nous avons programmé des sessions de formation auprès des professionnels. C’est vers les professionnels qui auront été formés que nous adresserons les personnes souhaitant réaliser des travaux d’adaptation du logement.
« Le particulier est perdu et il y a plein d’acteurs qui communiquent, des professionnels qui ne savent pas trop où ils vont. Mon idée c’est d’agréger des écosystèmes locaux. »
Former et informer les professionnels
En Ile-de-France je ferai de la formation pendant le premier semestre 2020 où je validerai un savoir être, un suivi avec une notion de contrôle. Ce n’est pas juste un autocollant sur le pare-brise !
Nous voulons trier les artisans sur le volet pour adresser des réponses vraiment pertinentes et qualitatives aux particuliers et aux CCAS qui nous demandent des listes de professionnels honnêtes.
Alexandre Faure : Comment réagissent les artisans du bâtiment quand vous les formez sur ces sujets ?
Jean-Philippe Arnoux : Ces professionnels sont sensibilisés au vieillissement de la population, plus par le phénomène des retraites. Ils ne voient pas le côté grande dépendance et le doublement des octogénaires à horizon 2050, ils n’y sont pas là. Ils font des chantiers de douche mais ils ne voient pas l’ampleur du marché.
Toutes les formations je les commence en les sensibilisant aux grands chiffres de la Silver économie. En leur donnant un peu de vision sur le long terme et en jouant sur la corde sensible puisque tout le monde a une personne âgée dans sa famille. Du coup je commence par demander « Qu’est-ce que vous feriez pour lui. Evidemment c’est votre famille avec de l’attention, du savoir être et bien c’est pareil avec vos clients. »
Ensuite nous leur expliquons qu’ils ne sont pas tout seuls. Il y a un écosystème, il y a des acteurs publics, il y a des acteurs associatifs. Ils doivent aussi savoir suivre à la lettre les préconisations de l’ergothérapeute ou avoir des raisons de ne pas le faire. Et la seule bonne raison, c’est la raison technique. Ils veulent faire un aménagement et la disposition des lieux ne le permet pas. L’enjeu est là et l’idée c’est d’arriver à partager la chaine de valeur et faire en sorte qu’elle prenne corps.
Alexandre Faure : Quelle est la feuille de route pour ces formations ?
Jean-Philippe Arnoux : Nous allons commencer par de gros pôles en Ile-de-France avec ce camion Saint Gobain – Handibat. Nous avons prévu de le prêter à Soliha qui n’en a pas en Ile-de-France. Nous venons de commencer par la Seine et Marne, nous allons continuer par les Yvelines et très certainement les Hauts de Seine. Et puis après, on s’adaptera en fonction de la demande.
L’idée c’est d’aller chercher des convictions sur le terrain.
Alexandre Faure : Ces sessions pour les professionnels s’adressent-elles seulement aux artisans du bâtiment ?
Jean-Philippe Arnoux : Non, nous souhaitons accueillir tous les professionnels de la longévité. Ainsi, en Seine et Marne, nous avons prévu une sortie uniquement pour les SAAD. Nous visons également les services de gérontologie que nous pourrions sensibiliser aux délais et modalités de réalisation des travaux.
Mesurer l’impact du showroom mobile
Alexandre Faure : Disposez-vous d’indicateurs pour mesurer l’impact de votre action ?
Jean-Philippe Arnoux : Dès qu’il s’agit de prévention, la mesure est ardue mais, oui, je tiens à définir des indicateurs d’efficience de l’opération. Je vais prendre un exemple, Tous Ergo, notre partenaire, a conçu un catalogue de produits qui s’appelle « Les essentiels ». Nous avons créé un petit code Promo qu’on donne aux visiteurs. Cela nous permettra de savoir combien achètent des aides techniques suite à une visite. Aujourd’hui le taux de conversion est autour de 20%, si on arrive à le faire monter à 30% ou 40%, ça sera déjà super. C’est important de mesurer notre impact. Ensuite on essayera de faire pareil avec les travaux même si c’est plus complexe, mais l’enjeu est là.
Où trouver le showroom mobile ?
Alexandre Faure : Comment est-ce qu’on vous trouve ?
Jean-Philippe Arnoux : Nous explorons plusieurs formules avec Soliha. La formule la plus courante aujourd’hui c’est d’aller faire des marchés. Cela demande une coordination en amont avec tous les acteurs locaux (mairie, CCAS) pour qu’ils expliquent à leurs publics ce qu’est le camion et qui sont les acteurs.
La première fois que j’ai testé un camion sur une place de marché, c’était dans une petite commune de l’Eure de 100 habitants. Les gens nous ont vu arriver sur la place du marché, ils pensaient qu’on était des vendeurs de fenêtres et ils sont partis en courant ! Là-dessus, le maire arrive, il connait tout le monde et il demande « vous êtes allé voir le camion ? », les gens ont été rassurés, ils sont tous venus et on a été occupés pendant plusieurs heures.
Mais ce mode de travail sur une petite commune n’est pas le plus efficace. Nous voulons essayer de travailler à un échelon supérieur, avec des communautés d’agglomération ou de communes et intervenir sur des événements plus importants, comme par exemple la galette des rois.
Nous devons absolument nous greffer sur des événements organisés ou être invités dans des lieux, le camion n’est pas autonome. Ce n’est pas un magasin ambulant !
Le business model
Alexandre Faure : Comment sont financées les prestations du showroom mobile ?
Jean-Philippe Arnoux : Il n’y a pas de modèle unique. En Haute Marne et Meurthe et Moselle ils mettent le camion à disposition de communes qui veulent. C’est un budget départemental via la conférence des financeurs qui a confié les animations à Soliha et à l’OHS en Meurthe et Moselle. Mais derrière il peut y avoir un modèle économique. Le camion coûte environ 1500 euros à la journée avec le personnel et les frais. Cinq communes peuvent s’associer pour solliciter le camion pour 300 euros chacune, ce qui reste très abordable. Dans beaucoup de cas, les sorties sont payées par caisses de retraite qui financent de 20 à 80 journées d’animation. Le point mort, c’est 80 jours d’animation dans l’année. Sur certains départements ils sont largement au-dessus, et dans les autres, il faut créer le besoin. Les modèles économiques se créeront sur chaque territoire. Pour moi le modèle économique n’est pas important aujourd’hui.
Le showroom mobile en synthèse
Alexandre Faure : Pour conclure, comment décririez-vous ce projet en 140 caractères ?
Jean-Philippe Arnoux : Le camion est un outil partagé et à partager. Je suis convaincu que l’adaptation de la société au vieillissement ne sera possible qu’en associant tous les acteurs et toutes les structures : le public, l’associatif et le privé commercial ont tous un rôle à jouer. Le social n’est pas incompatible avec la production de valeur.
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