Un Brin de Causette, c’est un service de conversation téléphoniques pour les personnes âgées. Dans notre interview avec Jonathan Pitcher, co-fondateur, vous découvrirez comment ce service a été inventé par trois entrepreneurs blanchis sous les harnais, quelles sont leurs ambitions, qui sont leurs clients et quels partenariats ils ont pu mettre en oeuvre pour augmenter la portée et l’impact de leur service.
Les origines de Un Brin de Causette
Alexandre Faure : Bonjour Jonathan, pour commencer, peux-tu nous décrire l’origine du projet et l’histoire de l’équipe fondatrice ?
Jonathan Pitcher : Nous sommes trois associés à nous être lancés dans ce projet si singulier. Jean-Frédéric Amédée-Manesme incarne parfaitement la figure du serial entrepreneur. Parmi ses réussites qui ont marqué, citons www.rdvmedicaux.com, la première startup de prise de rendez-vous médicaux en ligne (intégrée au groupe Vivendi en 2015). François de Charon, lui, vient de l’univers du conseil stratégique et data digitale. Puis en 2013, il se lance dans l’aventure entrepreneuriale en s’associant chez Ysance pour créer la première DMP. Quant à moi, Jonathan Pitcher, j’ai un parcours un peu inverse. Après avoir lancé le site Uzinagaz (premier site européen de jeux en flash en matière de trafic), j’ai fait une carrière dans le marketing, dans le service et l’édition logicielle notamment.
Alexandre Faure : Quelles sont les origines de Un Brin de Causette ?
Jonathan Pitcher : En 2016, JF crée le Welcome Lab et se dote d’un plateau de 12 téléopérateurs pour travailler en partenariat avec Doctolib sur une offre globale pour les médecins et leurs patients, www.mes-secretaires.com. À cette époque, il apprend un matin que la mère d’un de ses amis est restée immobile chez elle durant des heures, entre deux appels quotidiens de son fils. Pour lui venir en aide, il lui propose de faire appeler sa mère par l’une des télésecrétaires, chaque après-midi. Résultat : sa maman a adoré, ainsi que les télésecrétaires ; une idée est née. Ainsi, désireux d’initier des changements sociétaux, JF évolue du métier de mise en relation à développeur de relation, créant un nouveau concept porteur de sens et proche de ses valeurs, celui de créateur de liens :
c’est Un Brin de Causette !
De l’idée au projet, il n’y a qu’un… millier de pas (rires). JF et F se connaissaient de longue date, et j’ai travaillé avec F chez Ysance pendant trois ans. C’est donc F — sentant que chacun était mûr pour un projet porteur de sens et de valeurs – qui a opéré la mise en relation. Puis tout s’est enchaîné assez rapidement et naturellement, jusqu’à la création légale d’Un Brin de Causette en mars 2020. Depuis, tout le rythme est soutenu. Chaque jour étant meilleur et plus stimulant que le précédent.
Comment ça marche, un Brin de Causette ?
Alexandre Faure : Comment fonctionne votre service ?
Jonathan Pitcher : Un Brin de Causette réinvente la conversation au service du bien-vieillir et de l’échange familial. Au cœur de notre mission envers les personnes âgées et les familles, la conviction que la récurrence des échanges — toujours avec la même personne — est l’unique secret de l’authenticité de toute relation. Notre service est donc opéré par des « papoteuses », issues de l’univers du secrétariat médical. Chaque aîné est en relation avec une papoteuse dédiée avec laquelle il échange par téléphone selon son rythme et ses envies.
Nous nous adossons à un réseau constitué de 1000 papoteuses certifiées, réparties au sein de 80 permanences téléphoniques implantées dans toutes les régions françaises.
On se procure notre service sous forme d’abonnement mensuel, qui peut être souscrit pour soi-même, un proche, un résident, un administré. Nous proposons quatre formules d’abonnement mensuel pour un tarif compris entre 19,90 € et 59,90 € TTC. Un Brin de Causette est un service à la personne, qui ouvre droit à un crédit d’impôt de 50 % du prix de l’abonnement.
Certains abonnements sont financés par les bénéficiaires du service ou leur proche. D’autres sont pris en charge en partie ou totalement par les établissements qui intègrent notre service à leur catalogue de prestations en option, ou qui l’incluent dans leur prestation globale.
Le monde dont ils rêvent
Alexandre Faure : Quelle est votre ambition, de quel monde rêvez-vous ?
Jonathan Pitcher : Notre ambition est double. D’abord, nous souhaitons professionnaliser l’animation, le lien social, et d’une manière générale, l’univers du service pour les seniors. Nous avons eu l’occasion de nous rapprocher du monde bénévole, que nous trouvons formidable, nécessaire. Mais le bénévolat connaît les limites de sa nature intrinsèque. Lorsque l’on vise un service d’excellence, il n’est pas évident de s’appuyer sur lui. Qui va par exemple reprocher à un bénévole de s’absenter et de rompre la continuité d’un service alors qu’il a déjà offert gracieusement des heures innombrables de son temps ? Notre conviction est que la professionnalisation se présente comme le meilleur garant d’un service de qualité.
On ambitionne aussi de devenir la plateforme européenne du bien-vieillir, rien que ça ! Un service à la personne nécessite un juste mix entre high-tech et intervention humaine. Ou plus exactement, on pense que la high-tech va permettre à nos papoteuses de devenir les meilleures « interfaces » — le mot est barbare, mais il décrit une réalité — entre des usagers et des services à dimension humaine, pour des humains, et par des humains. On croit beaucoup à la data, mais l’on croit beaucoup aussi à l’intuition.
Qui sont leurs clients
Alexandre Faure : À qui s’adresse votre service ? Qui sont vos clients ?
Jonathan Pitcher : Les bénéficiaires de notre service sont multiples. Au travers de nos conversations orchestrées par nos « papoteuses » nous proposons un service d’animation du quotidien à distance, pour les seniors, qui se présente sous la forme de 4 offres, ciblant chacune une population spécifique.
Notre offre PAPOT’ÂGE entretient la dynamique personnelle. On tient compagnie, on prend des nouvelles, on anime les discussions du quotidien. Elle s’adresse plutôt à des personnes de 80 voire 85 ans et plus en établissement ou à domicile ; un public (en situation d’isolement ou pas) pour qui parler est une fin en soi.
PART’ÂGE réinstalle nos aînés au cœur d’une dynamique familiale. Dans les médias, on s’étonne chaque jour qu’il faille remettre l’église au centre du village. Chez Un Brin de Causette, c’est pareil, on souhaite remettre les grands-parents au centre de la famille. Alors notre service propose de consigner les souvenirs et anecdotes et de les partager avec la famille ou les proches.
Je vais vous faire une confidence, mon grand-père a manifesté en 1969 contre le spectacle Hair de Julien Clerc, qu’il trouvait trop permissif. Il y a même eu une photo de mon papy dans les journaux ! J’adorais quand ma grand-mère me faisait ce récit ; mais il fallait que j’aille chercher ses confidences. Notre offre (entre maïeutique et scribe) s’adresse donc à un public plus large. Dès 65 ans (voire plus jeune), qui souhaite partager ses souvenirs et son expérience, apporter des encouragements à la jeune génération, mais qui pour autant a besoin d’un peu de stimulation (la mémoire fonctionne mieux quand on pose des questions) et de discipline (c’est comme pour le coach sportif, on a tendance à en faire moins quand il n’est pas là).
Quels que soient les parcours, il arrive un moment où la question du projet de vie survient. PILOT’ÂGE accompagne à la mise en place et au suivi du projet de vie. On assiste chaque aîné dans l’évolution de son organisation. « Êtes-vous parvenue à joindre l’entrepreneur pour vos travaux dans la salle de bain ? » ; « Et concernant l’APA, où en êtes-vous de vos démarches administratives ? »
Enfin, pour les seniors en perte d’autonomie, ENTOUR’ÂGE les sécurise ainsi que leur famille. Rien qu’en parlant, on entretient les capacités cognitives et on s’assure que tout va bien, on détecte les situations d’urgence.
C’est quoi le problème ?
Alexandre Faure : Quel problème résolvez-vous pour eux ?
Jonathan Pitcher : Lorsqu’on les interroge, la préoccupation première des personnes âgées est de ne pas être une charge pour leur entourage. Juste après, mais avant les préoccupations de santé, elles se soucient de préserver un lien social. Pour l’essentiel, le besoin d’une des catégories de seniors, est un besoin de recréer de la relation personnelle, parce que cela permet de se revitaliser.
Avec la récurrence des appels, toujours avec la même papoteuse, on voit se créer des liens qui permettent une renarcissisation des personnes, c’est magique ! Mais comme expliqué, nous essayons d’interroger (et donc d’adresser) l’ensemble des interactions de la personne âgée avec son entourage. Comme dans la vie, on parle de la pluie et du beau temps. On parle de l’intendance et de la vie pratique, de l’organisation. Sorti des contraintes de la vie active (ce concept de vie « active » est terrible dans ses non-dits) on parle des souvenirs, des expériences. On parle aussi pour se rassurer, ou s’assurer de quelque chose. Donc pour répondre à la question, on ne résout pas un problème à proprement parler. Mais on s’implique, on s’investit auprès d’un public âgé, d’un public qui l’est moins, d’un public qui vit des moments de transition, et un public en perte progressive d’autonomie. Éventuellement, pour la famille ou les aidants, on va résoudre un problème de temps, en les déchargeant de certains points chronophages.
Un marché BtoB ou BtoC ?
Alexandre Faure : Vous êtes plutôt orientés BtoC ou BtoBtoC ?
Jonathan Pitcher : C’est une très bonne question [rires] ! Nous sommes aujourd’hui résolument dans une approche B2B2C pour distribuer notre service. Deux raisons à ce choix. D’abord, évidemment une dimension économique. Le prix du ticket d’entrée pour une commercialisation en vente directe, à grand renfort de marketing, reste élevé et hors de notre atteinte pour le moment. Mais à côté de l’équation économique, difficile de proposer un service complètement isolé de l’écosystème. Pour prendre une image, il ne viendrait à l’idée de personne de chercher une tablette de chocolat ailleurs que dans le rayon confiserie, parmi l’ensemble de l’offre chocolat. C’est la même chose pour notre service d’animation du quotidien pour les seniors, nous pensons qu’il doit littéralement se trouver au milieu des offres pour les seniors. C’est pour cette raison que nous nous rapprochons de l’ensemble des acteurs de la Silver économie qui incarnent à nos yeux l’avenir concret et réel, non fantasmé de la filière.
Alexandre Faure : Quelles difficultés et résistances devez-vous abattre pour signer des partenariats ?
Jonathan Pitcher : Nous sommes plutôt très agréablement surpris par l’accueil qui nous est réservé partout où l’on présente notre service. Mais d’une manière générale, je dirais qu’il n’est pas évident de « monétiser la parole » Comme partout, l’intérêt ne peut naître que d’une proposition de valeur réelle et pertinente. Nous avançons rapidement avec plusieurs partenaires. Si d’emblée notre service est apparu comme une évidence faisant sens par rapport à leur(s) activité(s), le diable est dans les détails et il faut articuler précisément l’intégration de notre service. Donc pour répondre à la question, peu de résistances, mais une nécessité de trouver les mots justes pour que chacun puisse s’approprier le service, et l’exprimer.
L’impact de 2020 sur Un Brin de Causette
Alexandre Faure : Quel impact 2020 a eu sur votre activité ?
Jonathan Pitcher : Notre activité est née en 2020, donc notre première année d’activité a très rapidement été rythmée par la crise sanitaire du coronavirus. Dès avril, par exemple, nous avons été sollicités par l’AMSAD Léopold Bellan, un service polyvalent d’aide et de soins implanté dans le 20e arrondissement de Paris. La crise sanitaire du Covid-19 empêchant le SPASAD d’intervenir au domicile des personnes isolées. Il a fait appel à Un Brin de Causette pour partager un moment convivial avec 250 usagers vulnérables, et en priorité les personnes âgées qui sont dans une situation d’isolement. Cet accompagnement s’est prolongé durant l’été et à l’automne.
Pour de nombreux acteurs et interlocuteurs, la crise sanitaire restera comme un marqueur dans la prise de conscience de l’isolement. Et pour nous comme un bon moyen de marteler que « la parole est le remède », et pas uniquement à l’isolement.
En 2020, nous nous sommes également rapprochés — réunions sous masques et visios à la chaîne — de nombreux acteurs de l’écosystème (EHPADs, EHPADs hors les murs, SAP). Nous avons initié un certain nombre de tests, comme avec Korian, par exemple, dans plusieurs établissements de l’est de Paris.
Alexandre Faure : Peux-tu me donner un exemple de partenariat que vous avez réalisé ?
Jonathan Pitcher : Nous avons initié un partenariat avec Marguerite, les leaders du Care Management en France. Ils vont prochainement proposer un accompagnement à la mise en place et au suivi du projet de vie opéré par Un Brin de Causette. Pour le bénéficiaire, ce partenariat apporte une réelle prise en charge dans sa globalité et un accompagnement à la mobilisation des dispositifs d’aides. Concrètement, un Care Manager dresse un diagnostic et suggère des évolutions, puis une papoteuse Un Brin de Causette en suit la mise en place.
Et l’avenir ?
Alexandre Faure : Comment te projettes-tu en 2021 ?
Jonathan Pitcher : 2021 sera peut-être l’année de sortie du Covid ! Ce qui signifie, on l’espère, la fin du cloisonnement, matériel et symbolique. Autrement, nous souhaitons consacrer une partie de nos efforts à simplifier le financement de notre service, en explorant différentes pistes de prise en charge possibles.
Alexandre Faure : Et dans 5 ans ?
Jonathan Pitcher : Dans 5 ans d’abord, nous l’espérons, le bien vieillir a fait des progrès et nous avons apporté du réconfort à de nombreuses personnes. On a démocratisé le papotage et véritablement créé un nouveau métier et de nouveaux usages. Il est difficile de s’imaginer qu’on a pu vivre jusque lors en s’en passant ! Un Brin de Causette s’est répandu comme une rumeur sur les réseaux sociaux, et après l’ouverture de trois antennes à Genève, Bruxelles et Montréal se pose la question de l’Italie et de l’Espagne ou des Pays-Bas, du Danemark et de l’Allemagne. Et franchement, Copenhague c’est une ville géniale. Vous connaissez les jardins de Tivoli ? En parallèle, on est plébiscité pour notre méthodologie du papotage et l’uberisation intelligente du service. Enfin, nos indicateurs du cycle de vie de la personne isolée, de la personne en perte d’autonomie, et notre indice de bonheur familial sont tour à tour salués et conspués par les professionnels et les particuliers. Mais on fait bouger les lignes.
Alexandre Faure : Et dans 20 ans ?
Jonathan Pitcher : Bien malin qui sait dire où l’on sera dans 20 ans ! Entre l’accélération de l’emprise des data, des progrès médicaux et des idées (j’ai très peur des transhumanistes), de la nouvelle conquête spatiale et le réchauffement de la planète, on risque de connaître quelques changements (et je ne parle pas du prochain Covid ni de l’histoire politique du monde)…
J’ai toujours été fasciné par le fait que les souvenirs ne soient en réalité qu’une reconstruction qui exprime une volonté, et non la transmission objective d’éléments du passé. J’espère que dans 20 ans je disposerai de suffisamment d’éléments pour prétendre à une reconstruction objective de notre histoire. Celle de la génération des enfants des boomers, qui a vu plus loin que ses parents et s’est réconciliée avec les « vieux ». Vous voyez le paradoxe ?
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