L’habitat inclusif a le vent en poupe. Le rapport Piveteau-Wolfrom de juin 2020 en a délimité les contours. Le gouvernement agit pour faciliter la création de structures. Les élus locaux sont chaud bouillants pour offrir cette alternative à leurs concitoyens. Des dizaines de porteurs de projet se lancent dans l’aventure. De nouveaux modèles voient le jour. Mais cet enthousiasme bouillonnant se heurte à la réalité du marché de l’immobilier. Le foncier coûte cher. Les mairies ne donnent pas des terrains en coeur de village à n’importe qui. Les départements fixent des règles discriminantes pour le financement des projets. Peu d’organismes peuvent accompagner des projets et certains ont une approche trop dogmatique pour le commun des entrepreneurs.
L’habitat inclusif, ce n’est pas pour tout le monde
C’est le paradoxe. L’habitat inclusif a beau être conçu pour offrir des conditions de vie normales, dans la vraie vie, à des citoyens qui en sont exclus, n’importe qui ne peut pas mener un projet à bien.
C’est difficile.
Mais réalisable en suivant le bon chemin.
Et la bonne nouvelle, c’est que ce bon chemin peut vous conduire à la création d’un lieu en moins de 24 mois. Dans une commune bienveillante. Avec les financements qui vont bien.
C’est le parcours suivi par le projet d’habitat participatif Kanopé. Lancé en février 2020, il devrait ouvrir sa première colocation en 2022. Nous avons rencontré deux des quatre co-fondateurs : Richard Kaminski et Loïc Rousse. Dans l’entretien que nous avons eu avec eux, ils expliquent leurs motivations, leur parcours, leur stratégie, leur vision. Bref, ils déballent pour vous leur trousse à outils.
L’interview est longue, mais nous avons décidé de vous la proposer telle quelle. Nous pensons qu’elle apporte des réponses à tous les porteurs de projets qui souhaitent se lancer dans l’aventure de l’habitat inclusif.
Richard Kaminski et Loïc Rousse, fondateurs de Kanopé

Alexandre Faure : Bonjour Richard et Loïc, pouvez-vous commencer par vous présenter ?
Richard Kaminski : Je m’appelle Richard Kaminski, j’ai 72 ans cette année. Je travaille depuis 52 ans dans différentes structures, en particulier dans l’économie classique. J’ai été DRH, directeur d’usine, et depuis 2007, je suis dans l’assistance aux entreprises sous différentes formes, en particulier managériales. J’accompagne aujourd’hui les dirigeants d’entreprises pour mieux travailler avec leurs clients et leurs salariés. En 2018, j’ai été l’un des fondateurs du supermarché coopératif d’Orléans, « La Gabare » qui a ouvert en septembre 2019. C’est un projet qui avait aussi l’ambition d’ouvrir rapidement à l’encontre d’autres projets plus associatifs. Disons que j’ai toujours travaillé sur des projets coopératifs, mais avec un état d’esprit d’entrepreneur.
Par exemple, Kanopé à été initié avec Loïc au début de l’année 2020, juste avant le début du confinement, et nous avons créé la coopérative, la SCIC, le 31 octobre. Nous essayons d’aller assez vite, parce que nous savons que ces projets-là, que ce soit le supermarché ou celui-là, s’ils ne sont pas menés rapidement, traînent en longueur et se délitent.
Avec Loïc, nous sommes inscrits dans l’économie sociale et solidaire en mentalité, mais avec un état d’esprit d’entrepreneurs, c’est-à-dire que nous allons rechercher l’efficience dans notre travail.
Alexandre Faure : Vous avez vu s’affirmer l’économie sociale et solidaire à un moment où vous aviez déjà une carrière. Est-ce que vous aviez déjà l’impression de porter ces valeurs dans votre activité entrepreneuriale ou bien est-ce que vous avez fait une sorte de pivot lorsque vous êtes passé sur de l’économie sociale et solidaire ?
Richard Kaminski : Je me reconnais dans la première situation. Ma jeunesse, c’est 68. Quoi qu’on en dise et quoi qu’on ait pu faire à ce moment-là, on est quand même touché par ce qui s’est passé, c’est-à-dire par cette révolution « culturelle » en quelque sorte : il y a eu un changement d’état d’esprit. Beaucoup de changements ultérieurs sont issus de 68, c’est mon background. Ensuite, j’ai toujours travaillé dans entreprises à taille humaine, même si elles appartenaient à un groupe plus grand.
Je n’ai pas l’impression qu’il y ait une notion de pivot. Je pense que dans la vie, on évolue. J’ai toujours été très attaché au mode associatif. Quand j’étais DRH, j’ai dirigé pendant 10 ans les associations locales de DRH. J’ai toujours apprécié le travail en équipe, la solidarité entre les gens avec qui je travaille. Donc je ne parlerais pas de pivot, je dirais que c’est une continuité.
Alexandre Faure : Très bien. Je vous remercie. Et donc, Loïc ?
Loïc Rousse : J’ai une carrière un peu différente de celle de mon ami Richard. J’ai 30 ans de carrière derrière moi. J’ai travaillé dans différents groupes, le Groupe Total, puis le Groupe Suez avec toutes les mutations qu’il a pu connaître. Paradoxalement, je ne suis pas du tout un spécialiste de l’économie sociale et solidaire.
Je suis mais plutôt un spécialiste de l’environnement. J’y ai travaillé pendant toute ma carrière, notamment dans le traitement des eaux, dans des fonctions d’abord techniques et ensuite commerciales ; voire très commerciales, puisque lors de mes derniers postes, j’étais directeur commercial France pour la filière industrie de Suez pendant une dizaine d’années et mon dernier poste consistait à développer de gros business en Europe avec les industriels, toujours chez Suez. J’ai quitté Suez, ça fait maintenant un an tout juste. J’étais arrivé un peu au bout de mon histoire avec Suez.
Au-delà de Kanopé, j’ai aussi un magasin avec mon fils dans le centre-ville d’Orléans qui est mon gagne-pain aujourd’hui, parce que le projet Kanopé ne nous nourrit pas encore, même si le projet me prend beaucoup de mon temps.
L’économie sociale et solidaire, c’est une révélation. Moi qui ai toujours vécu dans des business extrêmement pragmatiques, très industriels, je me suis rendu compte qu’on peut faire des business qui tiennent debout, tout en faisant du social et tout en allant dans un sens extrêmement positif. Évidemment, je travaillais dans l’environnement, donc à travers mon job, j’avais déjà cette espèce de fibre en me disant « quand je me lève le matin, je participe à l’amélioration de la situation générale sur l’environnement ». Ceci étant, j’avais de la peine à le traduire au niveau social, et maintenant, j’en suis convaincu.
La genèse du projet Kanopé
Alexandre Faure : Ce qui nous amène à votre projet commun et à sa genèse : qu’est-ce qui vous a conduits à créer Kanopé ? Aujourd’hui, vous voulez développer de l’habitat partagé, mais était-ce votre intention dès le départ ?
Loïc Rousse : Nous sommes quatre cofondateurs et au début de l’année dernière, nous étions tous dans des périodes de notre vie où nous avions de la place pour quelque chose de nouveau. Moi, je quittais ma boîte, certains collègues se posaient aussi des questions par rapport à leur futur et le confinement n’a fait qu’accentuer ce questionnement pour certains, parce que l’activité d’une cofondatrice a été freinée par le confinement. Du coup, en déjeunant au restaurant, parce que nous nous connaissions dans un autre contexte, et en nous interrogeant sur ce que nous allions faire, nous nous sommes retrouvés sur ce sujet-là.
Je ne sais pas si c’est aussi ton analyse, Richard. Nous nous sommes tous retrouvés en nous disant que nous avions vraiment envie de faire quelque chose dans ce sens et petit à petit, ça a mûri.
Richard Kaminski : Oui, c’est un peu ça. Très vite est venu sur la table que nous avions chacun de notre côté des amies qui étaient en recherche de solution de nouvelle vie. De mon côté, c’était une personne qui avait 70 ans. Je crois que Valérie avait aussi des amies un peu plus jeunes, mais qui se posaient la question de comment vivre mieux plus vieux ou comment vivre mieux, vieux. Et cette idée de cohabitation s’est construite assez vite. Après bien sûr, le projet s’est construit, a évolué, mais les idées dont nous allons vous parler aujourd’hui, nous en avions grosso modo 90 % au démarrage. Nous avons interrogé des chercheurs, en l’occurrence une chercheuse spécialisée sur ce sujet en France, voire en Europe. Nous avons fait un panel avec des personnes âgées, en visio pendant le confinement.
Loïc Rousse : Nous avons beaucoup lu également.
Une rencontre déterminante avec la sociologue Anne Labit
Richard Kaminski : Nous avons beaucoup lu de bouquins, nous nous sommes beaucoup documentés. Le concept était construit très vite et ensuite, nous avons peaufiné. Il évolue encore. Nous écoutons beaucoup ce qui se passe en essayant de comprendre quelles sont les conditions du succès, et nous réalisons des études financières qui nous permettent de voir si nous sommes dans le coup ou pas. Nous ne sommes pas dans le rêve, nous sommes très réalistes.
Alexandre Faure : Qui est la chercheuse avec qui vous avez échangé ?
Richard Kaminski : Anne Labit.
Alexandre Faure : Comment l’échange que vous avez eu avec elle a-t-il influencé votre réflexion ?
Loïc Rousse : Nous avons compris que ce que nous essayions de faire, plein de gens essayaient de le faire également, mais plutôt dans des structures associatives et moins « business équilibré » tel que nous voulions le faire, et que ces projets prenaient énormément de temps à voir le jour. C’est l’expérience qu’elle en avait, et partout en Europe. C’est la première chose. Anne Labit doutait de notre capacité à réunir des groupes homogènes qui pouraient vivre dans le temps sans souci. Elle nous a questionnés sur la constitution des équipes par maison et comment nous allions construire les groupes. Du coup, nous avons retravaillé ce sujet-là derrière. Richard, si tu veux ajouter quelque chose.
Richard Kaminski : Nous avons vu une très grande diversité de types de projets, en France, en Europe. Alors des groupes surtout associatifs, mais avec des idées variées. Et je crois que HACCOOPA est venu assez vite.
Loïc Rousse : Oui, c’est la Caisse des Dépôts qui nous a mis en contact avec eux. Nous avons un confrère à Nantes qui a un peu d’avance par rapport à nous, son projet s’appelle HACOOPA.
Le mythe de l’intergénérationnel remis en cause
Une autre information que nous avons obtenue avec Anne Labit, c’est que l’intergénérationnel dont on nous parle beaucoup, elle ne considère pas que ce soit la bonne solution, et c’était déjà un peu notre constat avant également, notamment au travers des interviews que nous avions pu faire des personnes âgées.
Les personnes âgées sont OK pour vivre à proximité de personnes plus jeunes, évidemment intégrées dans leur quartier, voire même dans leur immeuble, mais vivre ensemble au quotidien dans le même habitat, c’est non. On trouvera toujours des exceptions, mais dans l’ensemble, ce n’est vraiment pas leur volonté. C’est comme cela que nous, nous l’avons ressenti.
La rapidité d’exécution du projet : quel est leur secret ?
Alexandre Faure : Ce que je trouve impressionnant dans votre projet, c’est la rapidité d’exécution. Comment vous y êtes-vous pris pour aller aussi vite dans la structuration du projet ?
Loïc Rousse : Nous, nous estimons que nous n’avons pas été assez rapides. Le premier planning que nous nous étions donné était beaucoup plus serré que ça.
Richard Kaminski : Nous tenons le planning, avec quelques petites dérives, mais nous le tenons encore. La chance que nous avons eue, je ne sais pas d’ailleurs si c’est une chance, aujourd’hui nous nous posons des questions sur ce sujet, mais nous avons eu l’opportunité d’avoir dans nos amis un cadre de la Caisse des dépôts.
Un partenaire déterminant, la Caisse des dépôts
La Caisse des dépôts a tout de suite expliqué que le projet l’intéressait, à une seule condition, c’est que nous en fassions un modèle. C’est-à-dire pas un one shot, mais que nous construisions un modèle autour de cette idée. Nous étions d’accord sur l’idée de développer cette solution. C’est là que nous avons rencontré HACOOPA qui était sur un projet similaire, mais pas tout à fait le même. Eux, aujourd’hui, sont partis sur un immeuble en rénovation, alors que notre expérience nous a fait passer rapidement de la rénovation au neuf. Et à la fois poussés par la Caisse des dépôts, mais aussi par nos envies personnelles, sur du neuf très écolo, puisque nous sommes sur des maisons écologiques 30 % en dessous des règles de construction actuelle : nous sommes sur la norme 2030 en termes de construction de maisons quasi passives.
Donc nous sommes allés assez vite, parce que d’abord, la Caisse des dépôts nous a donné des contraintes en termes de montage juridique et aussi parce que nous avons tout de suite pigées et qui nous ont facilité la vie.
Loïc Rousse : Oui, ils nous ont donné le cadre.
Du vécu, des contacts, des réseaux
Richard Kaminski : Nous avons tous un peu d’expérience. J’ai connu à peu près toutes les structures possibles et imaginables : free-lance, SARL, association, SAS, coopérative classique, SCIC, etc. Nous rencontrons des gens qui sont dans des projets parallèles au nôtre et ils ont beaucoup de difficultés à s’y retrouver dans ce monde-là, alors que nous, ce monde ne nous est pas inconnu. Nous savons nous y retrouver.
Nous avons su construire un groupe solide. Nous sommes trois avec un background entrepreneurial, un quatrième qui est un chercheur. Les autres actionnaires aujourd’hui sont soit des entrepreneurs, soit des gens pouvant jouer un rôle important dans l’écosystème. Par exemple, nous avons un expert-comptable qui est aussi expert judiciaire, nous avons un groupe qui s’appelle Ulterïa, basé dans l’Yonne, qui est très orienté sur l’écologie.
Loïc Rousse : Nous avons aussi quelques connexions politiques qui nous ont permis de rencontrer des gens qui avaient une grosse expérience sur tout ce qui est le social vu de la ville, les logements sociaux et la question liée aux terrains, parce qu’une des difficultés de notre projet, c’est de trouver des terrains à des prix raisonnables. Ça aussi, ça nous a aidés, et ça nous aide encore évidemment.
La plus grosse difficulté au lancement du projet
Alexandre Faure : Dans ce parcours et cette constitution du projet, quelle a été la plus grosse difficulté que vous avez dû surmonter à date ?
Richard Kaminski : Pour moi, aujourd’hui, la plus grosse difficulté, ce sont le développement des fonds propres pour amorcer la pompe. Nous savons que ces fonds-là existent, mais la difficulté, c’est d’accéder aux décideurs. Nous avons une structure avec une Société Coopérative d’Intérêt Collectif qui elle-même va être propriétaire de 51 % des parts d’une société foncière dans laquelle la Caisse des dépôts va se retrouver avec 30 % et un troisième partenaire qui pourrait être une banque ou une mutuelle.
Ensuite, dans chaque territoire, un territoire étant un département administratif, il pourrait y avoir une Société Civile Immobilière qui serait l’opérateur. Cette structure-là, elle nous est imposée par la Caisse des dépôts, mais elle nous va bien, il n’y a pas de problème. La SCIC joue finalement un rôle de holding. Elle a la main sur l’ensemble du système, donc c’est intéressant, mais ça implique pour la SCIC d’avoir beaucoup de capitaux, puisque’il faut à chaque fois trouver 51 % des capitaux de la foncière. En gros, nous sommes sur des maisons de 250 m² qui nous coûtent 600 000 €, nous avons 30 % de fonds propres à trouver.
C’est aussi une conditions imposée par la Caisse des dépôts : 30 % de fonds propres sont nécessaires et 70 % d’emprunt. Notre premier souci aujourd’hui, c’est de trouver des capitaux. Donc nous agissons beaucoup autour de ça et nous essayons de suivre un certain nombre de pistes. Pour le moment, elles n’ont pas encore abouti complètement. D’ailleurs, nous vous en parlerons tout à l’heure, parce que vous avez peut-être aussi des idées, des opinions.
Loïc Rousse : Nous avons plusieurs schémas possibles. Nous n’avons pas encore complètement tranché pour la capitalisation de la SCIC, même si la capitalisation petit à petit augmente, puisque malgré tout, nous avons déjà pas loin de 30 000 € de capital, mais nous n’avons pas encore communiqué autour.
Richard Kaminski : Oui, ça, c’est juste autour de nous, dans notre réseau proche.
L’accueil des élus locaux
Alexandre Faure : Quel accueil avez-vous reçu des élus locaux auxquels vous avez présenté le projet et de ceux chez qui vous avez décidé de vous installer ?
Loïc Rousse : Un excellent accueil. Nous avons déjà des pistes intéressantes avec certains d’entre eux, notamment sur Bourges. Eux voient notre projet comme la possibilité sur des opérations immobilières de grande ampleur sur leur ville, d’amener des îlots avec des personnes âgées, de pouvoir parsemer nos maisons Kanopé sur leurs différents projets de développement. Ça, c’est le schéma qui semble se dessiner au vu des politiques aujourd’hui. D’ailleurs, le premier projet que nous avons en tête, c’est ce type de projet. C’est-à-dire des maisons individuelles et un lot dédié à notre projet dans cet ensemble.
Richard Kaminski : C’est vrai que la période est difficile, mais en même temps, cette période-là a mis l’accent sur les difficultés que les personnes âgées peuvent aujourd’hui rencontrer dans le système actuel, c’est-à-dire soit dans les EHPAD, soit dans les résidences seniors. Il y a quand même une certaine critique, un certain refus ou une certaine contestation de tous ces ensembles très collectifs.
Les modalités de fonctionnement du collectif
L’idée est d’avoir de petits ensembles, et nous n’avons pas choisi au hasard le nombre de cinq. Cinq, c’est d’abord un nombre impair. Si c’est trois, c’est difficile de vivre à trois, il y en a toujours un qui va se retrouver isolé. À sept, c’est un peu une mini maison de retraite. Donc cinq, c’était pour nous un chiffre d’or, et c’est assez apprécié des gens à qui nous en parlons. Ils apprécient l’idée d’avoir de petites structures, et je parle aussi bien des politiques que des gens que nous rencontrons. Maintenant, ils savent, et nous sommes bien conscients, nous aussi, que le fait d’avoir une petite structure est un point faible sur le plan économique. C’est sûr que des gens qui construisent des structures avec 30 personnes arrivent à amortir beaucoup plus facilement leurs coûts que nous avec cinq personnes.
Perspectives de développement à dix ans
Alexandre Faure : Avez-vous identifié le point d’équilibre en termes de nombre de locataires nécessaire pour arriver à équilibrer la structure ?
Richard Kaminski : Nous avons fait un projet sur 8 à 9 ans avec une quinzaine de maisons. Peut-être que nous pouvons aller plus vite, probablement. D’ailleurs, nous sommes à peu près certains qu’une fois le système lancé, ça ira beaucoup plus vite et que nous trouverons des fonds plus rapidement. Le début, c’est effectivement la partie la plus difficile, c’est l’amorçage. Après, tout se joue sur le niveau de prestations. Nous étions partis sur un niveau de prestations ces derniers mois qui était un peu plus élevé que ce que nous avons fait aujourd’hui. Nous avons trouvé des solutions pour pouvoir l’abaisser. Nous ne sommes pas dans le logement social, clairement, mais nous ne sommes pas non plus dans les résidences seniors.
Ciblage du marché
Loïc Rousse : Notre proposition s’adresse aux classes moyennes.
Richard Kaminski : En gros, ça s’adresse aux gens qui ont des retraites minimum de 1 500 à 1 600 €. Alors, nous ne sommes pas dans les critères sociaux : à cinq, nous ne pouvons pas y être. Nous ne pouvons pas l’être non plus, parce que nous avons fait le choix de maisons écologiques, nous avons un surcoût minimum de 20 % dans la construction de la maison par rapport à une maison très traditionnelle. C’est un choix que nous avons fait et ce que nous présentons aux villes dans notre projet, c’est que nous sommes contributeurs à la transition environnementale et énergétique.
Alexandre Faure : Qu’est-ce qui vous a décidé à flécher votre projet en direction des classes moyennes ?
Loïc Rousse : C’est une question de timing. Nous ne disons pas que demain nous n’irons pas vers des maisons avec des financements sociaux ou de l’aide publique. Mais nous nous sommes dit que si nous voulions aller vite, ce n’était pas le bon angle d’attaque et qu’il fallait absolument construire quelque chose qui puisse se financer assez vite et assez facilement, quitte à le développer sur d’autres populations après.
Comment ont-ils défini leur marché ?
Alexandre Faure : Vous avez rencontré des seniors de différentes catégories socioprofessionnelles avec différents niveaux de revenus, est-ce que c’est à partir de ce travail préparatoire que vous avez un peu structuré votre projet ?
Loïc Rousse : Oui, et c’est là aussi où ça nous a servi de discuter avec HACOOPA qui avait un peu d’avance par rapport à nous à Nantes, pour sentir le niveau de prix sur lequel nous devions nous positionner.
Richard Kaminski : Le niveau de prix où nous sommes aujourd’hui est celui que nous avions imaginé au début. Ensuite, nous étions repartis et nous nous sommes rendu compte que ce n’était pas si simple que ça et nous avons eu tendance à augmenter à travers les études financières. Et puis là, nous sommes revenus dessus en nettoyant un peu, pas en réduisant la prestation.
Loïc Rousse : En fait, nous avons été challengés, encore récemment, par un politique, grand spécialiste de l’habitat collectif et l’habitat social, qui nous a remis un peu sur terre et qui nous a dit : « Attention, les gars ! Il faut vraiment vous mettre à un niveau qui soit compatible avec le marché. » Du coup, nous sommes revenus à la tarification que nous avions prévue au départ.
Habitat inclusif ou habitat participatif ?
Alexandre Faure : Comment décrivez-vous Kanopé ?
Loïc Rousse : Nous, notre modèle, c’est l’habitat participatif adapté aux populations plus âgées.
Alexandre Faure : Comment définissez-vous l’habitat participatif ?
Loïc Rousse : C’est un habitat dans lequel les gens ont une très grande autonomie de vie et décident de leur quotidien, contrairement à beaucoup de propositions qu’on peut voir aujourd’hui sur le marché où il y a quelqu’un à temps plein dans la maison qui organise leurs journées, les animations, etc. Kanopé c’est tout l’inverse.
Les gens sont autonomes dans la maison, ils ont un service, que nous appelons conciergerie, mais à distance. Il y a un concierge pour cinq maisons, et qui intervient que s’ils ont des besoins. Nous sommes dans une approche à l’inverse de ce qu’on voit beaucoup, notamment par exemple chez Ages & Vie.
Concrètement, le participatif ça s’exprime comment ?
Richard Kaminski : Je voudrais compléter sur l’aspect participatif à proprement dit. Dans la gestion du projet, nous avons fait participer un certain nombre de personnes âgées pour définir le concept. Deuxièmement, nous avons créé une SCIC et pas une société anonyme classique, parce que la question de la gouvernance est importante. Les bénéficiaires de ces maisons sont membres de la coopérative et vont pouvoir contribuer à la gouvernance. Ensuite, le principe de « recrutement », de sélection des habitants, va se faire pendant la construction de la maison. Nous allons démarrer cette année, au printemps, une première construction dans la banlieue proche d’Orléans, à Saint-Jean-de-Braye.
Pendant la construction, du printemps jusqu’à l’ouverture en janvier prochain, nous allons sélectionner les gens. Ils sauront que la maison est là, que ce n’est pas une maison virtuelle, mais une maison bien fixée à un endroit précis. Nous avons déjà construit une structure de maison, d’abord imposée par les contraintes écologiques que nous nous sommes données, mais en même temps, les gens pourront contribuer aux finitions, à la décoration, à la mise en place d’accessoires particuliers qu’ils jugeraient utiles en plus de ce que nous aurions pu prévoir, etc. Par exemple, il y a quelques mois, dans les premiers plans proposés par le constructeur, une de nos bénéficiaires a fait une remarque tout à fait fondée sur le positionnement de la buanderie et ça a amené le constructeur à changer ses plans. Il y a vraiment une participation des personnes dans la construction du projet.
Loïc Rousse : Oui, et d’ailleurs, il y a eu d’autres remarques, je pense à celle qui disait « on veut pouvoir entrer chez nous, sans pour autant traverser la pièce principale ». Nous en avons tenu compte également dans l’aménagement de la maison, parce que ce n’était pas prévu comme ça au départ, pour que chacun puisse rentrer dans son logement, sans pour autant croiser quelqu’un s’il n’a pas envie.
Prévoir la dépendance et les règles de vie commune
Alexandre Faure : Comment envisagez-vous les scénarios où l’un des habitants perdrait de l’autonomie, deviendrait dépendant ? Est-ce que ce sont des cas de figure que vous avez envisagés et que vous envisagerez avec vos futurs habitants ?
Loïc Rousse : C’est là où effectivement, nous nous inspirons beaucoup de l’habitat participatif, et des habitats participatifs qui existent un peu partout en France et en Europe. L’idée, c’est que les gens qui emménagent dans la maison définissent entre eux une charte. Alors, il ne s’agit pas d’un document de 50 pages, mais comment ils vont vivre ensemble et comment justement, ils envisagent, d’entrée de jeu, de vivre ces situations-là, et notamment la perte d’autonomie. Donc, qu’ils se préparent déjà entre eux à ces sujets-là. Cette charte peut évoluer dans le temps tous les ans. Elle peut même évoluer en fonction d’un cas précis si le cas est vécu, mais l’idée, c’est que les gens décident eux-mêmes de la manière dont ils vont le gérer. Sur l’habitat participatif, nous avons croisé pas mal de conseils, dont un qui est assez intéressant qui s’appelle Ô Fil des Voisins qui apporte des conseils pour définir ces chartes et la vie en commun. Ils ont un vrai savoir-faire et nous avons participé à un certain nombre de formations avec eux. Ce sont des gens à qui nous ferons appel au moment où nous lancerons les premières maisons.
Richard Kaminski : Juste pour compléter, nous aurons également un partenariat avec des sociétés d’aide à domicile, dont nous avons parlé tout à l’heure, qui sont capables de gérer du GIR 4 au GIR 1 sans problème. Nous considérons que les maisons Kanopé sont les domiciles des personnes. Quand c’est une vraie famille, souvent les gens trouvent le moyen d’externaliser le problème. Nous, nous ferons en sorte de l’externaliser le moins possible, sauf accord des personnes. En tout cas, comme le dit Loïc, ce seront les personnes qui décideront elles-mêmes, nous, nous mettrons en œuvre. Nous sommes les exécutants, mais ce sont elles qui décideront elles-mêmes de la manière dont elles veulent traiter ce problème.
Loïc Rousse : Et ce qui est intéressant, c’est qu’il y a des précédents, plutôt dans des modèles types associatifs. On peut citer les Babayagas à Montreuil qui est une grande maison dédiée aux femmes. Dans cette maison, la charte dit « si on sort, c’est les pieds devant, on n’ira pas mourir dans un EHPAD ». Du coup, ils ont appliqué ça. La maison existe depuis une dizaine d’années maintenant, et ils ont appliqué ça depuis la création. Chez Kanopé ce sont des décisions qui seront prises maison par maison, et en fonction des groupes.
Prévoir l’arrivée de nouveaux cohabitants
Alexandre Faure : Il y a une autre question qui fait suite logiquement : à partir du moment où la charte est constituée par les cinq primo habitants, comment vous assurerez-vous que les nouveaux entrants se sentent bien par rapport à ça ? Elle s’imposera quand même un peu à eux, parce qu’ils auront été moins participatifs dans la constitution.
Loïc Rousse : Tout à fait. On retrouve effectivement toutes les difficultés qu’on peut rencontrer dans l’habitat participatif au sens large et comment gérer les nouveaux entrants, etc. Ça veut dire qu’on doit expliquer la charte au nouvel entrant et après, il doit avoir son mot à dire et la charte peut évoluer en fonction de la manière dont il la perçoit. C’est de l’humain. Notre rôle et le rôle de celui que nous appelons concierge, mais qui aura un rôle plus large que ça, c’est aussi celui d’accompagner les résidents dans ces évolutions.
Nous parlons de cooptation dans notre projet, c’est-à-dire de faire en sorte que les gens se trouvent et aient envie de vivre cette aventure ensemble, et pas forcément entre amis, parce que l’expérience de l’habitat participatif montre que ce n’est pas forcément la meilleure idée de faire de l’habitat participatif entre amis, même si ça peut marcher parfois.
C’est donc de faire en sorte que quelqu’un qui arrive dans le groupe puisse s’intégrer. Nous avons aussi interviewé des gens qui font de la colocation de gens beaucoup plus jeunes, et on voit bien que la difficulté, c’est quand quelqu’un part et quelqu’un arrive.
Ce qui les motive
Alexandre Faure : Au stade de votre projet aujourd’hui, qu’est-ce qui vous stimule le plus, dans quel état d’esprit êtes-vous ?
Richard Kaminski : Ce qui nous stimule le plus, c’est de pouvoir le concrétiser assez rapidement pour vérifier la pertinence d’un certain nombre de nos concepts, de nos idées, et si nécessaire, de les faire évoluer dans un sens ou dans un autre. C’est ça qui nous différencie des gens, dont on parlait tout à l’heure, qui ont passé des années à parler. C’est un peu dans l’esprit du lean start-up : comment on peut avoir très vite un premier produit qui nous permet de nous confronter à la réalité et arrêter de parler en l’air.
Loïc Rousse : Et aller chercher les fonds complémentaires pour faire les autres maisons. C’est vraiment super important.
Richard Kaminski : Voilà. Une fois qu’on a un produit, on a montré que c’est possible, maintenant vous pouvez venir. Aussi bien pour nos futurs investisseurs, que pour nos futurs bénéficiaires, que pour nos futurs partenaires, c’est absolument indispensable d’avoir déjà quelque chose de très concret. Donc ce qui nous stimule aujourd’hui, c’est ça. Ensuite, nous espérons qu’une fois le bébé sur les rails, il continue à avancer au rythme que nous nous sommes donné de deux maisons par an, et nous verrons ensuite si nous pouvons accélérer ou pas.
Loïc Rousse : C’est vrai qu’actuellement, nous avons des contacts avec plusieurs métropoles ou agglomérations et ça peut peut-être aller plus vite, mais notre objectif de départ, c’est ça.
Alexandre Faure : Les contacts politiques locaux que vous avez sont-ils dans l’attente d’une première réalisation pour se positionner ou pas ?
Loïc Rousse : Non. Ce qui les surprend d’abord quand nous allons les voir, c’est que nous ne leur demandions pas d’argent, parce que la majorité des gens qui viennent avec ce genre de projet demandent des subventions.
Nous, la première chose que nous leur disons c’est « on ne vient pas chercher de l’argent, on vient chercher des idées pour pouvoir trouver des terrains ». Parce que pour nous, les secteurs géographiques sont importants, nous ne voulons pas mettre les gens au fin fond de la banlieue d’une ville. Il faut qu’ils soient dans un cœur avec des commerces autour.
Nous ne voulons pas que nos maisons soient, entre guillemets, isolées. Donc nous avons besoin de trouver des terrains où ça vit, où il se passe des choses, où il y a des commerces. C’est de ça que nous avons besoin, nous ne venons pas chercher de la subvention.
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Bonjour très intéressant. Mais pouvez vous nous aider ? J envisage de vendre mon pavillon sur 5000 m2 à un collectif pour créer un habitat participatif pour seniors avec des maisons plain pied dans le 54 à Fontenoy la joute village du livre avec quelques commerces.