La France vit au rythme du coronavirus depuis plus d’un an. Les effets de cette épidémie sur les personnes âgées sont catastrophiques. Outre les risques sur leur santé, les confinements multiples et les restrictions sur les liens sociaux ont profondément bouleversé leur vie sociale. Le ras-le-bol généralisé ne concerne pas seulement les jeunes. Les vieux aussi en ont marre d’être confinés. Un an après le début du premier confinement, un état des lieux était nécessaire : nous l’avons fait.
Une épreuve pour l’ensemble de la population
Chacun a traversé à sa manière les confinements. Plusieurs facteurs permettent néanmoins de prédire la qualité de vie durant ces périodes : la taille du logement, le niveau de revenu, la catégorie socioprofessionnelle ou le quartier influencent la façon dont les confinements ont été vécus.
Les retraités, qui ont des revenus plus stables que le reste de la population et vivent dans des logements plus spacieux (seuls 0,8% des plus de 65 ans vit dans un logement suroccupé selon l’INSEE, contre 8,5% des moins de 30 ans) ont relativement mieux vécu le premier confinement. Leur bien-être s’est maintenu à un niveau plus élevé pendant cette période.
La crise n’a pas pour autant été sans conséquence pour nos aînés : seuls 2/3 d’entre eux disent avoir au moins bien vécu le confinement, selon l’enquête Confidences conduite par Gérond’if. Selon cette étude, les vieux aussi ont vu leurs habitudes bouleversées. Ceux qui ne sont pas parvenus à aménager de nouvelles activités ont majoritairement ressenti un ennui ou une anxiété plus forts que d’habitude. L’angoisse générée par le confinement et les informations sur la propagation du virus ne les a pas épargnés non plus.
Certains ont pu voir dans le confinement des aspects positifs : l’occasion de prendre du temps pour soi, de prêter davantage d’attention à nos actes du quotidien, de découvrir de nouveaux domaines, de visiter des lieux culturels en ligne, etc.
L’isolement est une problématique qui touche particulièrement les personnes âgées. Avant les confinements, les Petits Frères des Pauvres (PFP) estimaient que 300 000 personnes âgées étaient en état de mort sociale en France, c’est-à-dire qu’elles ne pouvaient s’appuyer sur aucun cercle de sociabilité. Cette situation a été aggravée pendant au cours du premier confinement. Selon les PFP, 650 000 personnes âgées n’ont eu personne à qui se confier pendant cette période.
Pourtant les personnes âgées, ainsi que le reste de la société, ne sont pas restées inactives au cours des deux premiers confinements. Beaucoup d’initiatives ont vu le jour ou se sont développées pour promouvoir les relations sociales en respectant la distanciation : appels de courtoisie, visites, portage de courses, etc. Les personnes âgées ont plus que jamais eu recours aux nouvelles technologies pour garder le contact avec leurs proches ou avec les associations dont elles sont membres comme le montre une étude conduite par Séniosphère conseil après le premier confinement.
Pourtant, tous ces palliatifs remplacent très imparfaitement les relations sociales en face-à-face. Cette intuition, que nous avons tous eue ces derniers mois, a des fondements biologiques. L’espèce humaine a évolué de façon à valoriser la proximité avec les autres. En groupe nous nous sentons plus en sécurité. C’était vrai à la préhistoire, c’est encore vrai aujourd’hui, malgré tous les moyens dont nous disposons pour communiquer à distance.
La communication via les outils numériques reste largement incomplète : le toucher en est par exemple exclu alors qu’il est essentiel dans la régulation de nos émotions et pour notre bien-être. De même, les signaux visuels et sonores ne correspondent pas à ceux d’une rencontre en face à face : les regards se fuient, les voix semblent légèrement altérées, on est privé de l’accès à la majeure partie du langage corporel de notre interlocuteur. En d’autres termes, que ce soit par téléphone ou par zoom, notre corps reçoit des stimuli inférieurs en quantité et en qualité à ce qu’ils seraient dans une rencontre en présentiel.
Nous parlons bien ici d’un besoin, et non de préférences ou de confort. Passer du temps avec les autres nous est nécessaire au même titre que de manger, boire ou dormir. Une étude publiée récemment par des chercheurs chinois montre par exemple que les échanges via internet sont des mauvais prédicteurs de la qualité de vie, au contraire des échanges en présentiel.
La (dis)continuité des soins
41% des personnes âgées ont ressenti un effet négatif du premier confinement sur leur moral, et 31% sur leur forme physique.
Etude Petits Frères des Pauvres
Les confinements ont eu des conséquences directes sur la santé des personnes âgées, mais aussi indirectes. La crainte générée par la circulation du virus, la surcharge des hôpitaux ou la difficulté d’accès aux téléconsultations ont conduit des malades à repousser des rendez-vous médicaux ou à interrompre des traitements. Au cours du premier confinement, un Français sur trois a renoncé à des soins et 70% des opérations ont été reportées. Le bilan est bien meilleur après le deuxième confinement puisque le matériel était cette fois disponible pour assurer la sécurité des patients dans les cabinets ou à domicile : seules 15% des opérations ont été reportées.
L’enquête Confidences conduite par Gérond’If indique que les personnes âgées ont moins souvent renoncé aux soins. Néanmoins, l’accès à la téléconsultation leur a été plus difficile : seuls 25% des personnes interrogées y ont eu recours au moins une fois. La fracture numérique demeure une réalité.
Les EHPAD sont quant à eux restés complètement cloisonnés durant le premier confinement. Les conséquences de cette décision ont été soulignées immédiatement par le Conseil National Professionnel de Gériatrie : « anorexie et amaigrissement, déclin cognitif accéléré, majoration de troubles du comportement, tristesse, … » L’isolement quasi total des résidents en EHPAD a favorisé une dégradation de leurs conditions physiques et psychologiques, dont les conséquences sont difficiles à prévoir.
Parmi les conséquences directes et indirectes, on retrouve l’augmentation de la dénutrition comme le souligne une étude conduite par l’IFOP pour la Fondation Jean-Jaurès et le Collectif de Lutte contre la Dénutrition.
Par ailleurs, les spécialistes ont observé une recrudescence préoccupante de syndromes de glissement. Ce syndrome désigne un phénomène de décompensation que l’on décrit le plus souvent comme une façon de se laisser mourir à la suite d’un choc : décès d’un proche, accident, hospitalisation, etc. Ce syndrome est suivi dans la majorité des cas par le décès du patient dans les mois qui suivent son apparition.
Effes négatifs du confinement sur les aidants
Si on parle souvent des personnes âgées en perte d’autonomie, on oublie que beaucoup de personnes âgées aident aussi un conjoint ou un parent. Les plus de 65 ans représentent près de 20% des aidants, une proportion similaire à leur part dans la population.
La relation d’aide établie entre un aidant et son proche demande de trouver un équilibre au quotidien. Cet équilibre est fragile. Il repose sur des routines, sur un mode de relation qui évite à l’aidé et à l’aidant d’être envahis par l’aide apportée.
Les confinements ont constitué des ruptures majeures dans les routines existantes. Les visites de certains intervenants à domicile ont été interrompues, parfois pendant plusieurs semaines, notamment pendant le premier confinement. Les offres de répit – qui permettent aux aidants de prendre du temps pour eux avec plus de sérénité – ont heureusement été maintenues pour la plupart. Pour les aidants qui ne vivent pas chez leur aidé, les visites sont devenues plus complexes, moins fréquentes. Il était alors plus difficile de s’enquérir de l’état de santé de son proche ou de rester disponible.
Cette situation engendre un stress accru chez les aidants qui ressortent marqués par les confinements successifs. On peut voir là une conséquence directe de la discontinuité des soins : les aidants ont dû compenser les interventions que les professionnels n’ont pas pu réaliser.
Les aidants se sentent en temps normal davantage isolés. Ils se sentent incompris, déconsidérés par leurs proches et le reste de la société. Cet état de fait s’est aggravé depuis mars 2020. Les contacts sociaux se font de plus en plus épars, il est alors difficile de maintenir une vie privée en dehors de la relation d’aide. Les aidants qui ont participé à la consultation organisée par le collectif Je T’Aide ont ainsi choisi le thème de l’isolement social comme axe directeur des actions du collectif pour l’année 2021.
Effets négatifs du confinement sur le deuil
Le deuil est un processus de cicatrisation psychologique qui intervient après le décès d’un proche. Il s’enclenche immédiatement après le décès, il ne peut donc pas être empêché. Il peut néanmoins être différé ou déformé selon les conditions dans lesquelles il s’effectue. Les rituels funéraires comme l’enterrement ou la crémation permettent un deuil plus apaisé. Voir une dernière fois le défunt, lui rendre hommage, communier avec l’ensemble de ses proches : autant de manières d’aider notre esprit à accepter le décès d’un autre.
Les confinements ont rendu plus difficiles, voire impossibles, l’organisation de ces rituels. Le nombre de participants aux cérémonies est limité, il est interdit d’assister à certaines étapes du rituel. Pour les morts du covid, le corps est placé immédiatement dans une enveloppe étanche qui empêche les soins mortuaires.
Il a donc fallu trouver d’autres moyens de reconnaître le décès en attendant de pouvoir se regrouper. C’est ainsi que les services funéraires ont proposé de nouvelles façons de communier : retransmission des obsèques, mémoriaux en ligne, forums, etc. L’objectif est de rendre le décès concret afin que les proches puissent construire leur deuil sur des bases plus saines.
Néanmoins, beaucoup de personnes ont été confrontées à l’impossibilité de dire au revoir à leur proche pour lui permettre de partir en paix. Ne pas pouvoir écouter les dernières paroles, recevoir ou accorder un ultime pardon, obtenir l’apaisement dont elles avaient besoin, telles ont été les souffrances de ces personnes. Ces conditions les marqueront pendant longtemps sous la forme d’un regret difficile à effacer.
Une fois les obsèques passées, les proches peuvent avoir besoin de se changer les idées, de faire de nouvelles expériences pour continuer à vivre. Mais comment faire quand on ne peut rencontrer personne ? Et que dire de ceux enfermés seuls dans un logement qu’ils occupaient autrefois avec leur conjoint ?
Pour une personne âgée, le décès d’un proche est toujours particulièrement douloureux. D’abord parce que le proche en question l’est souvent depuis plusieurs décennies. Ensuite car les relations sociales fortes deviennent de plus en plus précieuses à mesure que les réseaux de sociabilité (les « liens faibles ») se délitent. Enfin parce que le décès d’un proche nous confronte à l’angoisse de notre propre mort. Cette angoisse est d’autant plus forte dans le contexte du covid-19 pour les personnes âgées qui craignent la circulation du virus.
La fracture générationnelle
Comme chaque fois en temps de crise, il a fallu chercher des coupables à la situation que nous traversions. L’âge, facteur de risque principal, nous a offert des coupables idéaux : les autres générations. Pour certains, c’étaient les jeunes égoïstes qui bravaient les interdits sous prétexte qu’ils ne risquaient rien. Pour d’autres, c’étaient les vieux qui sortaient en prenant des risques inconsidérés malgré leur fragilité.
Cette fracture générationnelle, préexistante au covid 19 comme l’avait montré Audrey Dufeu dans son rapport, a été exacerbée par la crise. Rien de tel pour créer un climat délétère, en particulier pour les groupes qui en sont la cible.
Ainsi la question d’un confinement limité aux personnes âgées est-elle régulièrement revenue sur le devant de la scène. Cette question est à relier à l’infantilisation ressentie par les personnes âgées face aux communications par les pouvoirs publics. Les personnes âgées ont été considérées tout au long de la crise comme une catégorie uniforme, réunie par un critère commun : le risque accru de développer une forme grave du covid-19. Sous couvert de les protéger, les politiques publiques ont exigé de leur part des sacrifices parfois extrêmes, notamment en EHPAD où des confinements en chambre ont été décidés.
L’objectif des politiques adoptées était avant tout d’économiser les places en réanimation, d’éviter la surcharge pour les hôpitaux et ainsi de protéger l’ensemble de la population. Néanmoins de nombreux médecins se sont élevés pour dénoncer le manque de prise en compte des souffrances psychologiques. Ces souffrances restent bien souvent invisibles aux indicateurs de santé publique. Elles n’en sont pas moins néfastes, en particulier pour les personnes âgées comme en témoigne le syndrome de glissement que nous évoquions plus haut.
Si ces souffrances psychologiques ne requièrent ni lit d’hôpital, ni respirateur, les gériatres et les associations craignent les conséquences de la crise sur la santé des séniors à long terme : anxiété, dépression, mauvaise prise en charge des maladies chroniques, etc. Le gouvernement affirmant vouloir protéger les personnes âgées entre alors en dissonance avec leur ressenti : beaucoup d’entre elles auraient souhaité prendre plus de risques face au virus, et ce pour préserver leur santé.
Effets négatifs du confinement sur la vie associative
Pour beaucoup, l’âge de la retraite est synonyme d’entrée dans la vie associative ou de poursuite d’un engagement passé. Plus d’un tiers des séniors est engagé en tant que bénévole associatif (selon l’IFOP pour France Bénévolat). Les associations culturelles, artistiques ou sportives sont une composante essentielle de la vie des séniors.
Or, comme le souligne Générations Mouvement dans un communiqué, « la crise sanitaire liée à l’épidémie de Covid-19 et les mesures gouvernementales qui en ont découlé, ont contraint nos associations locales à suspendre l’essentiel de leurs activités. » Un état de fait qui se vérifie chez la majorité des associations : une enquête menée par le gouvernement après le premier confinement indique par exemple que seules 20% des associations ont été en mesure de maintenir même une faible activité.
Générations Mouvement poursuit : « Aujourd’hui, nous sommes inquiets. Inquiets pour nos adhérents qui parfois seuls, se sentent vulnérables et dont la vie sociale a été largement réduite depuis près d’un an. Seront-ils enclins à reprendre une activité […] ? Inquiets pour nos associations qui, avec le prolongement des restrictions et une visibilité réduite sur l’avenir, sont mises en sommeil, voire dissoutes. En cette période de renouvellement des cotisations, nous déplorons déjà quelques 30 % d’adhésions en moins au niveau national, et jusqu’à 50 % dans certains départements. »
La fédération est loin d’être un cas isolé : les adhésions ont diminué de 25 à 50% dans les associations sportives, culturelles et de loisirs.
Au-delà des difficultés financières immédiates provoquées par la baisse du nombre d’adhérents, c’est surtout la difficulté de s’investir à nouveau dans les associations qui inquiète. Les associations locales reposent sur un rythme qui structure leurs activités. Les confinements et le couvre-feu ont rompu ce rythme. Les adhérents expriment un manque de motivation pour la suite, en particulier les plus vieux qui craignent les regroupements et préfèrent attendre la vaccination ou l’immunité collective pour relancer les activités.
Pourtant les associations ont fait preuve d’ingéniosité pour maintenir du lien entre leurs adhérents malgré la crise : promotion des outils numériques pour communiquer, envoi d’histoires, de jeux, de courriers, billets d’actualité et conseils, visites à domicile, portage de repas ou de courses, etc. Nous souhaitons de tout cœur que ces efforts soient suffisants pour leur permettre de poursuivre leurs activités une fois la crise passée.
Conclusion
Deux points ressortent de ce bilan :
- Les confinements ont souligné une nouvelle fois le manque de discernement de la société française face aux personnes âgées. Les plus de 65 ans sont considérés comme un groupe unique, caractérisé par sa fragilité et son inactivité, que l’on doit avant tout protéger. Le covid 19 et les statistiques relatives aux formes graves ont contribué à renforcer ce point de vue. Cette opinion s’oppose directement au ressenti des principaux concernés : à 70 ans aujourd’hui on ne se sent ni vieux ni fragile. On revendique son autonomie, ce qui implique d’être responsable de sa propre sécurité.
- Les confinements ont mis en lumière la faible considération de notre société pour les souffrances psychologiques en comparaison des pathologies physiques. Les décideurs tendent à les sous-estimer puisque les données à leur disposition peinent encore à les prendre en compte. Les conséquences sur le long terme pour les personnes âgées des décisions adoptées sont encore difficiles à déterminer, mais elles devront éclairer les prochaines crises que nous traverserons. La santé est une situation holistique, la diviser en silos conduit inévitablement à en ignorer des pans entiers.
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