prédiction des chutes

Peut-on prédire les chutes ?

Prédical a été une startup de la Silver Economie spécialiste de l’analyse comportementale pour améliorer le confort et la sécurité des personnes. Malheureusement, faute de débouchés sur le marché des seniors, l’entreprise a choisi de s’orienter vers le b2b en délaissant la Silver Economie. Cette interview réalisée en 2018 avec le co-fondateur de Prédical, Stéphane Moriaud, mérite cependant sa place sur Sweet Home car elle offre un vaste panorama de la détection des chutes et des outils d’analyse du comportement. Outils qui, à l’heure où j’écris cette mise à jour, n’ont pas encore trouvé leur marché en B2C.

Article mis à jour le 5 mars 2022

Prédical a développé son propre système de téléassistance. Il analyse les routines des personnes âgées équipées, détecte et interprète les anomalies et contribue à la prévention de la perte d’autonomie.

Ce système c’est le Service Vigilant

Le Service Vigilant de Prédical préfigure ce que pourraient devenir les systèmes de téléassistance. Cette technologie qui existe depuis des décennies est plus connue du public sous le nom de bouton d’alerte.

La personne âgée fragilisée porte le bouton en collier ou en bracelet et le déclenche en cas de chute pour demander de l’aide.

Ce système a le mérite de limiter les dégâts occasionnés par une chute.

Pour comprendre comment fonctionne la téléassistance, lisez donc mon article Tout savoir sur la téléassistance, promis après cela, ce système n’aura plus de secrets pour vous !

Son principal inconvénient est d’être seulement curatif.

Avec le service Vigilant, Prédical tente de prévenir les chutes en anticipant les faits générateurs.

Interview de Stéphane Moriaud (Prédical) par Alexandre Faure (Sweet Home)

Alexandre Faure : Bonjour Stéphane, pour commencer, peux-tu nous raconter ton histoire et ce qui t’a conduit à fonder Prédical ?

Stéphane Moriaud : Comme très souvent dans le secteur de l’aide aux personnes âgées, mon vécu personnel m’a donné l’impulsion. Mes parents vieillissent, j’habite loin d’eux, ils veulent rester dans leur maison le plus longtemps possible. Je veux les aider mais aussi apporter une solution aux 90% de personnes âgées qui veulent vivre à domicile.

Venant d’un environnement technique, j’ai été témoin privilégié de l’essor des objets connectés. J’ai réfléchi à une solution technologique qui contribue au maintien à domicile. Je me suis intéressé à la téléassistance car c’est un domaine où la révolution numérique ne s’est pas faite.

Alexandre Faure : Comment avez-vous conçu le service Vigilant ?

Stéphane Moriaud : Mon associé et moi, nous avons commencé à réfléchir à cela en 2015. Nous voulions faire un système de prévention.

Actuellement, la demande d’équipement de téléassistance est formulée par les aidants après une chute ou une sortie d’hospitalisation. Mais si l’on agit en amont, si l’on est capable d’anticiper les difficultés et d’y apporter des solutions préventives, on peut retarder le problème et éviter d’avoir à agir dans l’urgence.

Partant de ce constat, nous avons lancé nos recherches avec l’aide du CNRS. Nous avons installé des capteurs dans des logements de personnes âgées pour apprendre leurs modes de vie. Pendant un an et demi nous avons collecté des données et travaillé sur les algorithmes de routine des résidents.

Modéliser les routines et détecter les anomalies

Ces travaux de recherche nous ont appris qu’on peut modéliser des routines et détecter les anomalies de comportement. C’est la base du service Vigilant de Prédical. Nous avons donc fait une première levée de capital en love money afin de développer un prototype que nous commercialisons depuis début 2018. Au cours de nos travaux exploratoires, nous avons constaté que l’acte d’achat est guidé par un souci de réaction : les proches aidants veulent être sûr que le parent pourra appeler au secours en cas de problème.

La prévention n’est pas un motif suffisant pour les décider à adopter le service Vigilant de Prédical. Nous y avons donc intégré un bouton d’appel d’urgence et passé un accord avec Assystel pour la prise en charge des appels d’urgence et l’intervention à domicile quand c’est nécessaire.

Comment ça marche ?

Alexandre Faure : Comment fonctionne le volet préventif du service Vigilant de Prédical ?

Stéphane Moriaud : Nous avons quatre indicateurs de prévention. Ils correspondent à quatre activités de la vie courante :

  1. Le sommeil : On observe les plages de repos et les anomalies. C’est une mesure capitale car le manque de repos peut accroître le risque de chute.
  2. Les repas : On observe l’utilisation de la cuisine, l’ouverture de la porte du frigo. Une personne qui commence à moins s’alimenter, cela provoque une faiblesse qui accroît le risque de chute. Si les repas se décalent pendant la nuit, peut-être qu’il y a un cycle de maladie neuro-dégénérative qu’on peut détecter pour mettre en place les bonnes actions. C’est une mesure essentielle car un proche ne peut pas faire ce type de constat s’il vit loin de son parent âgé.
  3. Le lien social : est-ce que la personne sort, est-ce qu’elle a des visites ?
  4. L’activité à l’intérieur du logement : Comment la personne se déplace et bouge dans son appartement. Cet indicateur permet notamment de détecter les symptômes dépressifs. Les personnes en dépressions se lèvent, vont dans la cuisine et y passent 3 ou 4 heures sans rien faire.
Le service Vigilant de Prédical
Le service Vigilant de Prédical
Vue des données sur l’activité, le sommeil, l’alimentation et les sorties ainsi que l’évolution. Ces indicateurs aident à comprendre les anomalies

En suivant ces indicateurs sur des cycles de plusieurs mois nous savons détecter une dégradation lente ou toute anomalie révélatrice d’un changement dans les routines.

Une cliente qui est partie en voyage et s’est blessée. Elle s’est bloqué le dos en portant sa valise. Nous avons remarqué qu’elle n’utilisait plus sa chambre car elle dormait dans une autre pièce où il y a la télé et qu’elle ne sortait plus. On l’a appelée pour lui demandait comment elle se portait. Elle s’est sentie rassurée qu’on détecte une anomalie et qu’on la contacte pour voir que tout allait bien.

Stéphane Moriaud

Nous travaillons avec une autre cliente qui se posait des questions sur la qualité de son sommeil. Elle avait la sensation de moins dormir.

Nous lui avons communiqué des informations factuelles : à quelle heure elle s’endort, à quelle heure elle se lève, est-ce que son sommeil est fragmenté. Actuellement elle est convaincue de faire de l’apnée du sommeil.

Ce n’est pas quelque chose qu’on peut détecter avec des capteurs de mouvement uniquement. Elle a rendez-vous ce mois-ci à l’hôpital pour faire une analyse complète. Si elle décide de s’équiper d’un appareil qui permet de lutter contre l’apnée du sommeil, on va pouvoir constater grâce aux indicateurs si il y a une amélioration de son sommeil ou pas.

Alexandre Faure : Peux-tu nous expliquer comment fait le service Vigilant pour analyser les mouvements. Par exemple pour la cuisine : comment savez-vous que la personne s’alimente ?

Stéphane Moriaud : On se base sur l’ouverture de porte du frigo. A partir d’un capteur installé dans le frigo, nous savons quand la personne va manger : elle va ouvrir le frigo, elle va cuisiner, s’alimenter, y remettre ses restes à la fin de son repas. On peut ajouter des mesures à travers un verre connecté pour savoir si la personne s’hydrate, une autre problématique liée à l’âge. Nous travaillons aussi sur l’utilisation des appareils électriques avec EDF et d’autres sociétés.

L’utilisation des données collectées

Alexandre Faure : Comment utilisez-vous les données collectées ?

Stéphane Moriaud : Nous restituons les résultats au bénéficiaire. Il est acteur de son autonomie. Il choisit à qui il veut donner accès. En règle général il le donne à ses enfants qui accèdent à des informations sur une application.

On adresse également un rapport au bénéficiaire : c’est un courrier qui analyse les variations ou l’absence de variation et donne les explications liées à l’activité du mois. Une fois le rapport reçu, on appelle chaque bénéficiaire tous les mois pour débriefer avec eux, faire un point sur les anomalies, les pièces inoccupées, l’absence de sorties.

On n’a pas voulu suivre le chemin emprunté par certains de nos confrères consistant à adresser des alertes aux proches si la salle de bains n’a pas été utilisée trois fois dans la semaine ou si la personne n’est pas levée à 10 heure.

On se rend compte que cela n’intéresse pas vraiment l’aidant, surtout s’il habite loin. Ce qui intéresse les proches, plus que les données sur l’application, c’est l’appel sans limite de temps (contrairement à la Poste avec le service “Veiller sur mes parents” où les appels durent seulement six minutes).

Le proche est souvent angoissé par son rôle d’aidant.

Il a envie que quelqu’un s’occupe de son parent et d’être seulement alerté s’il y a quelque chose de grave. On notifie le proche sur les événements où il n’y a aucune urgence. Par exemple si on constate une variation de l’autonomie de la personne le proche est notifié sur son téléphone. Il peut se connecter sur l’application, nous appeler, entamer un dialogue avec son parent : “je remarque que tu dors de moins en moins bien, depuis une semaine tu sors plus, qu’est-ce qu’il se passe ?”

Alexandre Faure : Que pensent vos clients de ce contact téléphonique mensuel ?

Stéphane Moriaud : Cette étape est centrale dans notre offre. C’est à ce moment là que nous apportons une vraie valeur ajoutée pour nos clients. Si je reprends le cas de la cliente qui avait des problèmes de sommeil, nous l’avons convaincue de consulter un médecin.

Seule, elle ne s’y était pas résolue. Ce moment d’échange nous permet également d’informer les clients sur les dispositifs locaux. Il y a beaucoup de choses qui sont faites pour lutter contre l’isolement et aider les personnes, les occuper. Mais ces dispositifs sont méconnus et les personnes isolées sont rarement informées des possibilités.

Qui contacte Prédical pour une installation ?

Alexandre Faure : Qui vous contacte pour l’installation d’un dispositif, la personne âgée ou son proche aidant ?

C’est le proche quand il y a une première chute, une sortie d’hospitalisation. Il cherche une solution pour ses parents. Toutes les personnes qui nous appellent cherchent :

  • Un système de téléassistance,
  • Une aide pour adapter son domicile,
  • Un service à la personne pour aider au lever et coucher,
  • une aide au repas.

C’est le proche aidant qui choisit. Il nous consulte autant pour l’équipement que pour savoir comment convaincre son parent de s’équiper.

Le détecteur de mouvement est perçu comme un système intrusif. Pourtant, ces inquiétudes disparaissent après l’installation. Les personnes âgées comprennent qu’elles doivent faire un compromis entre la liberté et la sécurité.

Etre intrusif c’est faire quelque chose quand la personne ne l’a pas accepté. Là, elle est au courant.

Âge moyen des personnes équipées

Alexandre Faure : Quel est l’âge moyen des personnes âgées que vous équipez ?

Stéphane Moriaud : En moyenne, idéalement on aimerait équiper les personnes âgées à partir de 75 ans, pour que la prévention soit efficace. Mais la réalité de la téléassistance, c’est que les gens s’équipent après 80 ans. La personne se dit qu’en s’équipant, elle franchit une étape dans sa vie.

Comment Prédical équipe le domicile

Alexandre Faure : Comment est-ce que vous déterminez à quel endroit du domicile vous allez disposer les capteurs de mouvement ?

Stéphane Moriaud : Nous devons faire l’installation qui permettra de réaliser nos quatre mesures préventives (sommeil, alimentation, vie sociale, déplacements). On va donc équiper les pièces essentielles. Ce qui est très important c’est de disposer les capteurs à des endroits où on pourra recueillir les meilleures mesures.

Nous commençons avec des indicateurs simples, des données limitées. Nous voulons faire quelque chose d’utile dans la prévention, y compris pour des gens qui n’ont pas les moyens d’acheter beaucoup de capteurs.

Nous savons que d’ici quatre ou cinq ans, quand la domotique sera plus courante, il sera plus facile et moins coûteux de mettre des capteurs partout. Aujourd’hui, ce n’est pas entré dans les mœurs. Nous installons donc un nombre de capteurs minimum pour mesurer les métriques essentielles à notre suivi.

Alexandre Faure : A quoi ressemble un capteur de mouvement ?

Stéphane Moriaud : Ce sont les mêmes capteurs que pour les alarmes sauf qu’ils sont réglés différemment. L’alarme observe l’inactivité là tandis que nous observons l’activité.

Alexandre Faure : Qui fait l’installation ?

Stéphane Moriaud : Nous faisons l’installation nous-même car c’est la première étape de notre relation avec les clients. Le premier rendez-vous, c’est l’occasion d’avoir un dialogue avec notre client, d’avoir ce premier lien avec lui. Lui parler, comprendre ses habitudes de vie et créer les bonnes conditions pour poursuivre ce dialogue tous les mois.

Pour Prédical, l’installation n’est pas juste un acte technique, c’est avant tout un moyen de créer un lien humain avec notre client. Nous nous concevons vraiment comme un service humain et pas un service technologique qui se contenterait d’envoyer des alertes sur le téléphone du proche.

Alexandre Faure : Quand la personne fait une chute, qui reçoit l’alerte ?

Stéphane Moriaud : Sur les appels d’urgence nous nous sommes rendu compte que les proches ne veulent pas être réveillés la nuit. C’est très stressant et 50% des appels sont de fausses alertes.

La personne âgée a appelé, elle s’est trompée. Il y a 5% des appels qui sont vraiment d’ordre médical. En cas de problème, Assystel déclenche son réseau d’intervention. Sur un appel d’urgence c’est important que la personne puisse parler à un professionnel. Ils sont formés à l’écoute. Ils sont capables de faire un vrai diagnostic et enclencher une intervention si c’est nécessaire.

Le service Vigilant de Prédical
La page d’accueil de l’application du Service Vigilant de Prédical offre une vue synthétique du logement, de son résident et des alertes éventuelles.

Prédical et la concurrence

Alexandre Faure : Quelles relations entretenez-vous avec les téléassisteurs ?

Stéphane Moriaud : A l’usage, nous avons réalisé que nous ne sommes pas concurrents avec les téléassisteurs. Nos solutions sont complémentaires.

Alexandre Faure : Quelle est la taille du marché français de la téléassistance ?

Stéphane Moriaud : En France 500 000 personnes ont de la télé-assistance. Sur les 500 000 personnes il y a environ 25% nouveaux utilisateurs chaque année, donc 125 000 personnes. Les personnes n’utilisent plus leur solution car elles ne peuvent plus se maintenir à domicile : elles rentrent en EHPAD ou décèdent.

Les solutions actives comme le service Vigilant de Prédical, c’est un pourcentage de ces 125 000.

Alexandre Faure : Avez-vous identifié des leviers pour faire bouger les mentalités ?

Stéphane Moriaud : Nous pensons qu’il serait bien que les pouvoirs publics imposent une solution préventive pour éviter de traiter la chute.

Pour faire une analogie, les ceintures de sécurité sont devenues vraiment efficace quand on les a rendues obligatoires.

Des sociétés comme Prédical, ne peuvent pas attendre que les pouvoirs publics se décident. On passe beaucoup de temps à discuter avec les acteurs publics, comme les départements pour faire connaître des solutions telles que les nôtres.

C’est pour ça qu’on voit nos différents confrères pas comme des concurrents parce qu’il y a de la place pour tous. Chaque action de communication faite par un confrère profite à tout l’écosystème. On a un de nos confrères qui est parti avec Macron en Chine, justement pour équiper une ville, ça a fait un énorme buzz sur ces solutions de télé-assistance.

C’est un travail commun de communication et d’éducation du public. Toutes ces solutions sont complémentaires. On communique tous ensemble pour les faire connaître. C’est ce qu’on essaye de faire tous ensemble.

Cela permet de faire connaître les solutions les plus efficaces et éviter que les personnes qui veulent s’équiper prennent l’offre de base proposée par la Maison de l’Autonomie ou le CLIC.

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2 réflexions sur “Peut-on prédire les chutes ?”

  1. Une des caractéristiques du vieillissement est la somnolence voir l’endormissement en dehors de la chambre, en particulier en cas d’apnée du sommeil. La perte de vigilance ne semble pas être un des facteurs pris en compte, pourquoi?

    1. Alexandre Faure

      Bonjour Olivier, les systèmes modernes d’analyse des routines permettent cette détection. Malheureusement, ils peinent à convaincre les utilisateurs qui lui préfèrent la téléassistance « classique ». En outre, il faudrait pouvoir équiper des seniors à partir de 75 ans pour que le système soit vraiment efficace, car il fonctionne en analysant les changements comportementaux, plus il a de données, plus il sera réactif. Or, aujourd’hui, l’âge moyen d’équipement est de l’ordre de 80 ans et concerne des personnes qui ont déjà chuté.

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