La transition démographique est l’enjeu sociétal du vingt et unième siècle. Cela ne fait aucun doute pour Alexandre Petit, fondateur de Alogia et pilier de la Silver économie. Cette certitude l’a conduit à créer son entreprise, en 2014. Fils de gériatre, Alexandre baigne dans la gérontologie depuis sa plus tendre enfance. Les veillées de Noël à l’Ehpad, les gardes de nuit en résidence services, pour payer ses études, les lectures, les amitiés, les convictions.
Ces convictions qui le portent, en 2014 pour candidater à un appel à projets organisé par Xavier Niel, Jacques-Antoine Granjon et Marc Simoncini. 4000 candidats, 300 finalistes et un ticket de 25 000 euros pour les 101 gagnants. Ce jour-là, Alexandre persuade le jury. Il repart avec une mise de départ qu’il emploie pour fonder Alogia.
A l’origine d’Alogia
La première itération de l’entreprise est un bureau d’études BtoC qui aide les particuliers à adapter leur logement, à partir d’un diagnostic d’ergothérapeute. Le jeune entrepreneur déchante rapidement. «On s’est pris le mur en pleine tête. La santé, en France, c’est gratuit. Donc, avec nos offres de diagnostics à financer, nous avons trouvé des opportunités, mais je pense que sur les 25 premiers diagnostics à domicile, j’en ai seulement facturé cinq. Sur les autres, j’avais affaire à des gens tellement dans le besoin que j’ai fait le travail sans le facturer. »
L’entreprise pivote en BtoB et se tourne vers les acteurs institutionnels du logement. Bailleurs sociaux, promoteurs, mutuelles et assureurs, institutions de retraite et prévoyance, collectivités locales. La recette fonctionne. Le besoin est réel. Immense. Les chiffres sont étourdissants.
Les chiffres de l’adaptation du logement en France
Le parc privé résidentiel, c’est 28 millions de résidences principales dont seulement 6 % sont adaptées au vieillissement ou au handicap. Si, depuis 2018, tous les logements construits sont adaptables, il ne se construit que 400 000 nouveaux logements, et tous ne sont pas destinés à des habitants âgés. L’effort à fournir pour adapter les logements français dans une démarche préventive en faveur de l’autonomie est proprement gigantesque. Et pour le moment, la part de rénovation réalisée par les particuliers est ridiculement faible. En 2019, l’ANAH a financé seulement 16 443 dossiers d’adaptation. À ce rythme actuel (construction + rénovation), il faudrait 40 ans pour que le parc résidentiel français soit adapté.
Or, nous n’avons pas autant de temps.
Un marché BtoB par nature
Puisque les particuliers ne sont pas encore réceptifs au discours préventif, ce travail doit être fait avec la contribution d’acteurs institutionnels, les clients d’Alogia.
La croissance remarquable du groupe depuis 2014 est le fruit d’un travail monumental que nous tenons à saluer et présenter dans Sweet Home. Pour mettre en lumière le travail essentiel réalisé par Alogia d’une part. Pour présenter le parcours d’un « enfant de la Silver économie » qui a su créer et faire croître un projet qui fait sens, sur le marché des seniors. Un projet d’utilité sociale.
Nous aurions pu scinder en deux parties le long entretien que nous a accordé Alexandre Petit, mais nous avons choisi de vous le proposer en version intégrale, pour plus de cohérence.
Interview exclusive d’Alexandre Petit, CEO d’Alogia
Interview réalisée en face à face le mardi 13 octobre 2020 au siège parisien d’Alogia
Alexandre Faure (AF) : Pour commencer, Alexandre, peux-tu résumer Alogia en une phrase
Alexandre Petit (AP) : Nous sommes les experts de la prévention santé dans l’habitat senior
Leur vision : la prévention santé dans l’habitat senior
AF : Quelle est la vision derrière la maxime ?
AP : Il faut prévenir pour bien vieillir. Nous aidons les professionnels du logement collectif à adapter leur parc immobilier au vieillissement. Nous faisons de la prévention en santé dans l’habitat.
La prévention, c’est ça notre vision. Et nous soutenons cette prévention en faisant intervenir des ergothérapeutes dans tous nos processus. Ces professionnels de santé diplômés d’État sont, selon nous les plus légitimes pour mener une politique de prévention à destination des personnes âgées et de leurs aidants. 94 % des citoyens âgés de plus de 60 ans et 85 % des plus de 90 ans vivent à leur domicile. Il est là, l’enjeu de l’adaptation de la société au vieillissement !
AF : Comment agissez-vous concrètement pour y contribuer ?
AF : Nous développons trois dispositifs complémentaires
Le premier est Ergocall, un service d’assistance téléphonique. Nos équipes d’ergothérapeutes proposent une prise en main à distance des problématiques des personnes âgées et la mise en place de solutions de coordination, en particulier dans ce contexte de crise sanitaire.
Le diag d’ergo vu par Alogia
Le deuxième, c’est le cœur de notre activité se passe sur le terrain : nos salariés ainsi que nos 300 ergothérapeutes partenaires réalisent des diagnostics dans le domicile des particuliers. Ce diagnostic est à destination du couple aidant-aidé et pas uniquement de la personne âgée. Le logement est un lieu de vie, un lieu d’accompagnement d’aidants familiaux et un lieu de travail d’aidants professionnels. Sans cette perception en triptyque, on risque des erreurs dans l’analyse.
Nous faisons deux visites. La première pour le diagnostic des besoins, la seconde pour mettre en situation les solutions concrètes. L’aménagement du logement, le matériel technique et médical, les nouvelles technologies, le plan de financement, la mise en lien avec des associations quand c’est un sujet d’isolement.
Nous avons investi en recherche et développement pour concevoir un logiciel « hébergé données de santé » qui permet à nos clients d’avoir un suivi en temps réel de la réalisation de nos missions, sur de gros volumes. Nous venons d’ailleurs de remporter un appel d’offres important porté par l’Hérault où nous allons faire plus de 600 visites par an.
Accompagnement, conseil formation et études
En complément, nous avons créé une division qui fait de l’assistance à maîtrise d’ouvrage dans la construction ou rénovation de logement à destination des personnes âgées avec une expertise forte sur le logement évolutif. C’est pour renforcer cette expertise que nous venons de racheter Vivalib.
Enfin, nous proposons des services de conseil et formation qui sont transverses. Nous accompagnons les acteurs qui veulent se positionner sur de l’innovation Silver économie en bénéficiant des datas, de gens qui peuvent aller sur le terrain. Cette division est pilotée par Mohammed Malki, un ancien conseiller technique au secrétariat d’État aux personnes âgées. Il est capable de bien faire le lien avec le champ assez complexe de la politique publique.
Aller plus loin : lire le rapport réalisé par Alogia pour la Banque des Territoires à propos des solutions de soutien au maintien à domicile
AF : Comment décrirais-tu votre façon de travailler ?
AP : Nous aimons aller au contact des vraies gens dans la vraie vie et baser notre expertise sur ce qui se passe sur le terrain. Sans cet ancrage dans le réel, on passe à côté des vrais sujets. Par exemple, on fait beaucoup de cas de la smart home, de la domotique et de la télémédecine, mais on oublie que en 2020, en France, beaucoup de foyers ne sont pas encore connectés. Pendant le confinement, nous avons appelé 5000 personnes et 40 % d’entre elles n’avaient pas internet. Notre pays a encore des étapes à franchir avant la maison intelligente !
L’enjeu du logement évolutif pour Alogia
AF : Vous avez racheté Vivalib afin de développer votre expertise sur le logement évolutif. Quel est l’enjeu ?
AP : La loi ÉLAN impose aux promoteurs immobiliers 100 % de logements évolutifs. Cela signifie des logements qui soient compatibles avec l’usage d’une famille, puissent être adaptés rapidement aux besoins d’une personne âgée, ou handicapée ou inversement, accueillir une famille ou un jeune couple après avoir été occupés par une personne dépendante.
Nous devons trouver des solutions réversibles, mais aussi changer les usages.
Par exemple, prévoir des murs renforcés qui permettent l’installation de barres d’appui. Le renfort est complètement invisible, cela ne change rien au logement. Tous les équipements courants pour l’aide à la dépendance sont amovibles. C’est du mobilier. Des aides techniques, de la domotique et des nouvelles technologies. Les plans doivent prévoir des passages de câbles, des arrivées, des gaines. Cela n’a rien de révolutionnaire, quand on construit. Ces aménagements nécessitent d’avoir le wifi et d’installer des capteurs, une téléassistance, des objets connectés de santé, mais cela ne change rien au logement. Dire « si on aménage un logement pour les personnes âgées, il n’est pas aménagé pour les suivants, c’est faux. » Peut être auront-ils une douche à la place d’une baignoire, mais c’est tout. Le reste, c’est du plug and play.
En finir avec la silver économie « Paillettes »
AF : Tu as créé Alogia en 2014, quelques mois après la naissance de la Silver économie. Qu’est-ce qui a le plus changé depuis cette époque pas si lointaine ?
AP : Je perçois une dichotomie entre la perception qu’on a du marché du vieillissement et la réalité du marché du vieillissement. D’un côté, une Silver économie « paillettes » qui croit y percevoir un marché d’avenir dans les bouillonnantes startup. De l’autre, les vraies réussites du secteur — je veux parler de géants industriels — sont contemporaines de la Silver économie. Ce sont les groupes d’EHPAD et les services à la personne.
Et pourtant, les EHPAD, c’est 700 000 places sur 13,5 millions de seniors.
Dans les services à la personne, nous avons de grands acteurs comme Ouicare. Ces deux marchés sont structurés et financés, ce qui n’est pas le cas des autres marchés de la Silver économie, mis à part la téléassistance, elle aussi contemporaine de la création de la filière. Pour le reste, nous avons une myriade d’acteurs et le marché n’est pas structuré, ni consolidé. Il n’y a pas de capitaines d’industrie, pas de leaders. Nous sommes, via la Loi Autonomie en cours, en train de discuter aux moyens de financer l’autonomie en France, en 2021. La reconnaissance du statut d’aidant date de 2015, le logement évolutif, c’est 2018. La décision d’Action Logement de financer 200 000 douches, c’est 2020.
Tout est en train de bouger. Mais comme la stratégie n’a pas été structurée par les pouvoirs publics, il n’y a pas de schémas clairs de financement. Je considère que le problème le plus révélateur de cela, c’est que quand ça nous arrive, qu’on est confronté à une chute d’une personne âgée dans notre entourage par exemple, on est tous confronté au parcours du combattant. Nous devons faire notre choix parmi des dizaines d’acteurs, de financeurs, des exceptions des circuits spécifiques, etc.
Qu’est-ce qui fait marcher Petit ?
AF : En 2014, tu termines tes études, qu’est-ce qui te donne envie de te lancer sur ce marché là ?
AP : Un constat qui est un peu plus micro que celui qu’on fait maintenant sur le vieillissement. À l’époque, on parle de géolocalisation pour personnes âgées et 30 startup se lancent alors que l’iPhone le fait déjà très bien. Mon constat, c’est l’inadéquation des services et des technologies à destination des personnes âgées par rapport à la population en général. Toi ou moi, les services et les technologies sont parfaitement adaptés à nos besoins et parfois des boites révolutionnent le marché, comme Apple qui crée l’iPad et invente un nouveau besoin. Mais qui a le plus besoin de confort et de sécurité à domicile, ce sont les personnes âgées. Pourtant je constate une vraie inadéquation entre les deux.
Pragmatique ou passionnel ?
AF : Tu avais cette lecture du sujet et tu as senti une opportunité business, est-ce que ton réflexe initial était pragmatique ou passionnel ?
AP : Il était passionnel. J’avais une bonne connaissance des sujets du vieillissement et un accès aux connaissances liées à la santé et au vieillissement. J’avais la fougue et j’avais remporté un appel à projets fait par Xavier Niel, Jacques-Antoine Granjon et Marc Simoncini, les 101 projets. J’avais pitché pendant une minute avec les 300 autres sur 4000 dossiers et ils m’avaient sélectionné parmi ceux dans lesquels ils mettaient un petit ticket pour démarrer.
Et donc, avec pas grand-chose à perdre après une expérience orientée finance et contrôle de gestion, j’ai choisi de lancer la boîte. Au démarrage, en BtoC, déjà autour du diagnostic d’ergothérapeute, en ayant identifié un besoin d’accompagnement plus fort chez les personnes âgées, de coordination des solutions – besoin qui explose aujourd’hui avec l’avènement du Care manager – d’expertise pour ne pas faire n’importe quoi quand on réaménage le logement avec du matériel technique et médical . Nous nous sommes orientés en BtoC, pensant que les usagers âgés et leurs aidants auraient besoin d’un professionnel pour les accompagner.
La santé en France, c’est gratuit
On s’est pris le mur en pleine tête. La santé en France, c’est gratuit, dans l’inconscient collectif. Donc, nous avec nos offres de diagnostic à financer, on a trouvé des opportunités, mais je pense que sur les 25 premiers diagnostics à domicile, j’en ai seulement facturé 5. Sur les autres, j’étais sur des gens tellement dans le besoin, en situation financière complexe, que j’ai fait le travail sans le facturer. À ce stade, je me suis dit que dans Économie sociale et solidaire, il y a économie, si tu n’as pas l’économie, tu ne feras ni du social, ni du solidaire. Où alors, tu pars dans l’associatif, mais ce n’est pas ma vision de l’entrepreneuriat.
Donc, nous avons réorienté le projet en BtoB, en nous disant que c’était aux grands acteurs du monde de l’immobilier et de la protection sociale de se saisir de ce sujet en finançant la prévention. La prévention devrait marcher en France, puisqu’elle fonctionne dans d’autres pays.
Stratégies BtoBtoC
AF : Aujourd’hui, votre stratégie principale c’est le BtoB, mais est-ce que tu sens que ça bouge du côté des particuliers sur ces thématiques-là ? Peut-il s’activer sans incitation fiscale ou prise en charge financière ?
AP : Bonne question, moi ce que je sais c’est les besoins que les gens ont. Je fais du BtoBtoC, je vais au domicile. Je sais la plus-value de notre accompagnement, des besoins, sur plus de 20 000 visites d’ergothérapeutes et 5000 appels passés pendant le covid. Nous percevons un besoin fort d’accompagnement chez les personnes âgées, leurs familles, leur entourage. Sur le terrain, le besoin existe. Est-ce que le marché est assez mature pour des offres de services payantes, je ne sais pas. Mais ce n’est pas mon créneau, aujourd’hui. Je suis un acteur BtoB, je sais bien le faire, on a de belles références et il y a une place à prendre dans l’accompagnement des professionnels. On a construit la boite pour cela.
L’impact Covid
AF : Je m’interrogeais sur la progression de la perception d’un besoin par les particuliers.
AP : Je pense que, pour le coup, le Covid l’a accéléré, bien accéléré. Le vieillissement, c’est un sujet d’actualité. Tout le monde entend parler des personnes âgées tous les jours à la télé. Et puis cette future loi Autonomie, qu’on attend avec impatience !
Prévention : enjeux et perspectives
AF : Justement, cette loi autonomie, toi en 2015, tu constates un frein sur ton activité parce que l’on considère que la santé c’est gratuit. La loi autonomie se propose de rendre la dépendance gratuite, elle aussi. Est-ce que tous ces dispositifs d’aide à la perte d’autonomie contribueront à une prise de conscience sur la nécessité de la prévention ?
AP : La nécessité de la prévention, elle figure dans les rapports gouvernementaux depuis 2015, on ne l’a pas inventée. Je n’ai jamais rencontré quelqu’un qui soit contre la prévention. Les gens sont convaincus, encore plus avec le Covid. Si on avait des dispositifs de prévention bien organisés à destination des personnes âgées, on n’aurait pas été obligés de confiner les jeunes.
Aujourd’hui en France, tout le monde sait que celui qui conduit, c’est celui qui ne boit pas. Tout le monde sait qu’il faut manger cinq fruits et légumes par jour, mais personne ne sait ce qu’est un ergothérapeute. Personne.
Donc la prévention, on sait faire. La stratégie nationale de santé 2018-2022 est titrée : « la révolution de la prévention ». On a compris. Cela a marché pour la route, pour le tabac et c’est en train de porter ses fruits pour l’alimentation. Mais sur le sujet du vieillissement, tout reste à faire. C’est pour cela qu’on milite à notre échelle, sans prétention, en attendant ce qui va se décider dans la loi autonomie. Je n’attends pas que la loi. Les bailleurs sociaux ont une action très volontariste sur ce sujet, en l’inscrivant dans leurs politiques à destination des personnes âgées et des aidants. Les assureurs réfléchissent à une assurance prévention. Il a eu des prises de parole de la Mutualité française, la FNMF, AG2R LM. Le monde mutualiste veut aussi développer des garanties sur la prévention et les acteurs mènent des réflexions sur les modèles économiques.
Une chute suivie d’une hospitalisation coûte 8000 euros. Si demain, je suis capable de démontrer qu’en dix diagnostics, j’évite deux chutes, le modèle est rentable, d’un point de vue économique pour celui qui le finance.
Ce que nous devons aller chercher, c’est la matrice économique qui montre que la prévention est rentable pour celui qui la finance. On a ces données et c’est ce qu’on montre aux acteurs avec qui on travaille. Comment eux, même au niveau de la rentabilité, ils y trouvent un gain, dans une politique de prévention. Cela va se déployer, par de grands acteurs qui innovent. #jespere [rires].
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Merci Alexandre pour cette interview super intéressante ! Complètement alignée sur la différence entre la perception et la réalité du marché du vieillissement et la difficulté de ‘vendre’ des services de prévention en direct !